Hors de contrôle et impuissant

Le récit tragique d’un homme accablé par l’accoutumance J’ai beaucoup vécu durant mes années passées à adopter un mode de vie que je croyais acceptable. À travers cette folie désespérée et effrayante, j’ai accumulé beaucoup d’anecdotes.

Je pourrais vous raconter comme j’ai souvent attendu frénétiquement à des coins de rue de Toronto, dans le froid glacial, sans gants et la goutte au nez, sans un rond, attendant quelqu’un qui m’avait promis d’être au rendez-vous à temps pour me donner quelque chose qui pouvait momentanément me débarrasser de cette terrible douleur que je m’imposais.

Je pourrais vous parler d’une des dernières fois que j’ai pris des drogues, lorsque je me suis réveillé après m’être évanoui dans un cabine de toilettes sur College Street, en réalisant que j’avais raté un rendez-vous quelques heures auparavant avec la femme avec laquelle je vivais. Puisque j’avais peur de ce qu’elle allait dire et que j’étais effrayé d’avoir des problèmes, je me suis cogné la tête plusieurs fois avec mon antivol en kryptonite pour bicyclette pour me faire une grosse blessure. Tout ça, pour lui faire croire que j’avais été victime d’un horrible accident. À cette époque de ma vie, l’honnêteté n’était certainement pas une de mes qualités.

C’était la norme pour moi, d’être brisé mentalement, physiquement et spirituellement.

Je vais essayer de vous décrire en quelques mots comment ma toxicomanie et mon alcoolisme ont affecté ma vie PROFESSIONNELLE, ma vie de FAMILLE, mes RELATIONS et ma vie AMOUREUSE.

Aujourd’hui, grâce à une force qui me dépasse et que je suis incapable de fait définir, j’ai enfin battu le démon de la toxicomanie. Pendant la plupart des vingt dernières années, il était le maître de tous les aspects de ma vie : mon esprit, mon corps et mon âme.

Je m’appelle Tim Masterson, j’ai 39 ans et je suis toxicomane. J’ai toujours besoin de PLUS; plus de ce que j’aime et de ce qui me fait me sentir bien, sans trop m’inquiéter si ça me tue. Je vis pour le moment présent. Il me faut une gratification instantanée. Je prends tout à la légère, je me moque de tout, j’utilise l’humour pour me protéger. Lorsque je récupérais, j’ai appris que j’avais une relation incroyablement dysfonctionnelle avec ma propre façon de penser et que j’étais depuis longtemps gouverné par LE CHAOS, L’AUTO-DESTRUCTION, UNE VOLONTÉ DÉCHAÎNÉE, LA MANIPULATION ET LE BESOIN D’OBTENIR CE QU’IL ME FALLAIT ABSOLUMENT, TOUT DE SUITE, PEU IMPORTE LES CONSÉQUENCES QUE ÇA AURAIT SUR LES AUTRES.

... Aujourd’hui, le vendredi 17 août 2007, j’ai atteint mon 153e jour de sobriété – 5 mois, 3 jours, 14 heures et quelques secondes – pas que je compte… En fait, je compte chaque seconde. Actuellement, je peux affirmer que je ne suis pas sous l’emprise de cette chose qui m’a forcé des années durant à m’autodétruire, sans relâche.

… Rien qu’aujourd’hui, je ne dois pas m’en vouloir de ne pas avoir eu le courage de réaliser ce dernier acte égoïste : le suicide.

… Je ne vous demande de vous rappeler que d’une chose lorsque je vous raconte ma vie personnelle : mes meilleures pensées m’ont amenées où je suis aujourd’hui. Beaucoup des choses qui me sont arrivé m’ont effrayé et m’ont sidéré. Elles étaient intrigantes, effroyables et dangereuses, mais en définitive, et je ne vois pas vraiment pourquoi, je ne les saisis toujours pas très bien, et elles n’ont pas suffi à m’effrayer comme elles auraient dû le faire. Lorsque je revis les événements qui ont mené à ce jour, je constate que je suis passé à travers de nombreuses situations extrêmes, pénibles et isolées.

J’ai écrit des faux chèques à des librairies pour revendre les livres dans un magasin de livres usagés et rassembler le plus de liquide possible, en courant dans les rues, des trous dans mes souliers, effrayé et seul au monde; tout ça pour pouvoir me droguer. Mais ce qui est encore plus effrayant, c’est que je pensais que ces décisions étaient parfaitement sensées à ce moment-là!

Je pourrais aussi vous parler de mes nombreux séjours dans les établissements de réadaptation, alors que je n’étais même pas prêt à m’arrêter. J’ai vite appris quel était le meilleur moment pour m’échapper – entre les séances des «12 étapes» et les classes «Life 101» – pour aller faire mes reniflettes et injections quotidiennes. Je me rendais en douce deux allées plus loin, sous la chaleur torride de l’été au centre-ville, jusqu’à la blanchisserie où Pedro et ses amis vendaient de l’héroïne, avec beaucoup de succès.

Je pourrais vous raconter quand à 4 heures du matin, j’avais besoin de drogues, tremblant, incapable de m’assoupir en raison des horribles symptômes de sevrage, assis près d’un escalier de secours (un lieu sombre que j’avais découvert près d’une fenêtre au cinquième étage et où je pouvais me balancer), accablé de mouvements convulsifs et essayant de penser à des combines qui tomberaient sans doute à l’eau.

IMPUISSANT ET HORS DE CONTRÔLE : C’ÉTAIT MA RÉALITÉ. Les drogués ne prennent pas de pause. Il n’y a pas de répit. Ils pensent sans cesse à des combines, ils sont toujours en train de manipuler et de mentir, pensant en toute sincérité qu’ils font de leur mieux avec les moyens du bord. J’avais besoin de drogues pour pouvoir fonctionner dans cette société. Je croyais fermement que la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue sans elles.

Lorsque j’essayais toujours de me remettre, tout là-bas en Californie, au cours d’une de mes pires rechutes, ça semble incroyable, mais je n’arrivais toujours pas à me shooter comme il faut. Je donnais donc de l’argent à des étrangers pour qu’ils viennent dans ma voiture et fassent l’infirmier. Ça m’aurait bien fait rigoler si j’avais eu des uniformes d’infirmières pour eux! Pour moi, c’était normal que je leur donne mes derniers dollars. Avec ce qui me restait, j’achetais de l’essence, et parfois à manger. C’est fou que je ne me sois jamais fait poignarder ou plaquer. Un jour, en conduisant ma décapotable blanche sur une avenue de la Californie centrale, en compagnie d’un junkie sans-abri quelconque qui était accoudé à la portière de ma voiture et qui criait des obscénités aux passants, j’ai réalisé que cette vie n’était pas ce que Dieu espérait de moi.

Si on continue à vivre sans rien changer, on continue à récolter ce qu’on a toujours vécu. Tu essayes en vain de te convaincre que tu es maître de la situation et que ça pourrait être pire. Tu te surprends en train d’examiner une blessure qui saigne, un bras qui se cicatrise, des ampoules qui s’enflamment, des endroits sur ton corps qui gonflent alors qu’ils ne devraient pas. Et ces nouveaux tics… tu ne peux pas t’empêcher de penser à des temps plus faciles, des jours plus innocents, où tout ça ne faisait pas partie de ta vie.

Je pourrais vous parler des nombreuses fois où je me suis trouvé à la merci des services d’urgence, lesquels étaient trop occupés pour faire attention à mes pitoyables cris suicidaires, et me rejetaient dehors au plus vite par les portes automatiques, mais avec une facture à payer en plus. Alors je décidais de conduire pendant quelques heures, en essayant d’ignorer l’envie irrésistible de donner un coup de volant et de me lancer sur les voitures qui venaient en face.

Je me souviens quand on m’a mis à la porte du Royal Palms Rehabilitation Facility. Le personnel m’avait trouvé astucieux et malin, et ce n’était pas un compliment. Mais je suis comme ça. Je ne me prends jamais au sérieux et j’essaie de me convaincre que ce n’est pas si grave. Je suis méchant avec les autres, je ne pense qu’à moi-même. J’essayais de me convaincre que ce n’est pas SI MAL de dormir dans les buissons au bord de l’autoroute parce que j’ai mon duvet et ma radio, et ma «liberté» (ha, ha), et que ça pourrait être bien pire (?).

Le personnel a conclu que je «faisais preuve d’un manque d’engagement envers le plan d’action qui était nécessaire pour éliminer les substances de mon mode de vie.» À chaque réunion, chaque matin, juste avant de commencer les corvées et les tâches quotidiennes, un de conseillers nous disait : «Les perdants font ce qu’ils veulent. Les gagnants font ce qu’ils doivent faire.» Je n’écoutais pas. Je me suis sauvé par la porte arrière. J’étais trop occupé à ne pas être un gagnant. Pour moi, c’était le moment idéal pour me faufiler dans l’allée pour aller rejoindre mon gang de copains drogués de la rue, pendant qu’on essayait d’apprendre à tous les autres comment ne pas finir comme moi.

J’ai passé la majorité de ma vie à penser que je n’arrivais même pas à la cheville d’un GAGNANT. Je me voyais comme un junkie désespéré, peut-être malin, et parfois même habile, avec du potentiel. Mais ces qualités, qui se manifestaient de temps en temps, m’ont seulement aidé à ne pas atteindre le fond de l’abîme. Rien de tout ça ne ressemblait à GAGNANT. Les GAGNANTS ne mendient pas au marché Kensington.

Les gagnants ne se plantent pas devant les stations à essence Chevron en prétendant qu’ils ont besoin d’argent pour de l’essence.

Les gagnants ne font pas d’overdose, ils ne sont pas rués à l’hôpital et surtout, une fois qu’ils reprennent leurs esprits, ils ne se lèvent pas le plus vite possible en arrachant les tubes et fils pour repartir chercher des drogues.

À 35 ans, complètement brisé et ne sachant plus du tout que faire, je suis retourné chez ma mère au beau milieu de l’hiver, dans la petite ville de Lindsay. J’ai commencé à écrire pour décrire mon histoire périlleuse dans le monde : un egocentrique accablé par un complexe d’infériorité. Je me voyais unique, différent et spécial – des mots mortels pour un alcoolique. Je ne me suis jamais senti assez fort pour faire le nécessaire pour mon RÉTABLISSEMENT. C’était la seule vie que je connaissais. Je ne voyais pas comment ça pourrait marcher pour moi. Je ne possédais pas le vocabulaire du rétablissement.

Le mot CAPITULATION ne faisait par partie de mon vocabulaire.

Toujours et encore HORS DE CONTRÔLE et IMPUISSANT.

J’ai visité les lieux de rétablissement les plus atroces qui soient. Costa Mesa sur la rue Charlie, un lieu de la plus basse misère. Des types vomissaient en jets durant les réunions et les repas. L’endroit était un auditorium genre église de l’Armée du salut. Un asile de nuit accueillant environ soixante-quinze gars violents qui n’obéissaient pas aux règlements et qui avaient des odeurs douteuses. Je me rappelle de paillassons en plastique bleu, de lits superposés, de devoir me lever tôt et d’un isolement grotesque que je n’oublierai jamais.

J’ai aussi visité des établissement à l’autre extrême tels Las Encinas Hospital à Pasadena en Californie. Cet endroit aurait pu être une maison de retraite ou un spa de rétablissement et était financé par la Musician’s Union à Hollywood. Un mois de séjour coûtait 34 180,38 $ dollars américains! D’abord ils vous désintoxiquent. Le pire dure environ 5 jours, à sept ou huit heures près. Je comptais chaque minute…

Ais-je appris quelque chose dans cet endroit? Des leçons qui m’apprendraient la vie? Des leçons qui m’auraient aidé à apporter des changements qui m’empêcheraient de toujours me retrouver dans des situations autodestructives?

ET est-ce que ces leçons ont su me protéger dans la vie de tous les jours?

Malheureusement, non.

Le jour de Noël était une petite mort pour moi. Les familles venaient rendre visite à leurs êtres chers. Il y avait une fête dans le jardin des plus ridicules. Il ne me restait plus que quelques jours avant de finir le programme. Puis je me suis évadé...

Après avoir été clean pendant un mois, je me suis retrouvé dans la rue devant les portes de l’établissement, sans personne pour venir me chercher. J’ai passé le matin de Noël à trainer mes valises et mes sacs à travers le quartier. Je pouvais voir des familles heureuses dans les jolis bungalows sur le boulevard, tandis que moi, je m’apitoyais de plus en plus sur mon sort! La scène aurait été très agréable, si je n’avais été moi. J’avais BESOIN, absolument BESOIN d’être intoxiqué.

On dit que la définition de la folie est de répéter les mêmes situations incessamment en s’attendant à des résultats différents à chaque fois. C’était bien moi.

HORS DE CONTRÔLE et IMPUISSANT.

Écoutez bien : il est impossible pour un non toxicomane, soit quelqu’un qui n’est pas atteint de la maladie de l’alcoolisme, de comprendre la qualité presque religieuse de la toxicomanie. La profondeur de l’accoutumance aux drogues et de l’enchevêtrement dans la sous-communauté des drogues telles l’héroïne, la cocaïne, les pilules, etc., est quelque chose d’absolument incompréhensible. Tous les aspects de la vie du toxicomane deviennent reliés à l’utilisation des substances, et plus rien n’est rationnel.

Le choix entre l’utilisation des substances et tout autre chose n’est pas un choix. Alors que faire?
REPRENONS DES DROGUES!

Maintenant, je veux rester clean plus que je veux prendre des drogues. Qu’est-ce qui a changé? Qu’est-ce qui s’est passé?

Voici comment les choses ont changé pour moi.

Je vais vous parler d’un matin en janvier dernier…

Je me suis réveillé dans ma chambre au tic toc insupportable d’une exaspérante horloge d’occasion qui était accrochée au mur. Le locataire précédent l’avait laissée. Après une nuit passée avec des étrangers à préparer de la crack cocaïne dans mon nouveau domicile de nouveaux débuts et de sobriété à Parkdale, ce qui était clair – plus que jamais auparavant – c’était que je n’avais jamais connu de pire douleur, paranoïa et extrême anxiété que ce matin-là.

Je me sentais à bout.

Ce n’était pas de la peur que je ressentais… je voulais éclater en pleurs, sortir de ma tête et de ma peau, je tremblais incroyablement, mon cœur battait très fort… j’ai crié après les types qui étaient chez moi (je crois que je les ai effrayés). Je leur ai dit que j’allais appeler la police ou une ambulance, que je ne voulais rien de ce qu’ils avaient à offrir et que j’étais fou à lier. Je me suis douché et je me suis accroupi dans ma robe de chambre. J’ai réalisé à quel point j’étais seul et je me suis mis à prier comme un fou sous mes draps. Je ne savais pas à qui je destinais priais, à lui, à elle, à quelque chose… tout ce que je voulais, c’était que ce «quelque chose» ne soit pas moi. C’était la première fois que ça m’arrivait.

C’est à peu près à ce moment-là que la peur m’a donné des jambes (drôle d’image!) et que je suis retourné chez Alcooliques Anonymes avec rien de nouveau ou de différent à raconter. J’étais pourtant toujours horrifié, la maladie était toujours là, pas loin...

Cette fois néanmoins, j’étais prêt et je voulais que ça change.

Je devais devenir plus humble, ME RENDRE, prendre certaines mesures, aller aux réunions, faire ce qu’un type que je connaissais (et qui vivait comme moi) avait fini par faire. Je devais me décider à faire tout ce qui était nécessaire pour CHANGER. Je me suis lancé dans le programme d’Alcooliques Anonymes avec la certitude que je ne voulais plus vivre comme avant.

Je CONNAIS la démoralisation incompréhensible et pitoyable.

Je la comprends.

J’ai compris que lorsqu’on m’a retiré ma solution – les drogues – il ne me restait que moi. Et c’était ça le problème. On dit que la connaissance de soi ne nous offre rien, mais moi je connaissais très bien ma terrible maladie. Cela me rendait fort. Je savais à quel point je me sentais désespéré et mort. J’avais des connaissances de moi-même qui pouvaient être très utiles pour récupérer.

Cette maladie est rusée, déroutante et puissante.

On m’a accordé un répit qui dépend de l’entretien de mon état d’esprit. Chaque jour, lorsque je me réveille, je demande de l’aide et je demande comment je peux aider.

Cela veut dire que je suis prêt à croître spirituellement et que je dois me débarrasser de la PEUR, tous les jours. En priant.

Aujourd’hui, j’ai un boulot, j’ai des engagements, j’ai des amis. Mon cerveau avait besoin d’un bon nettoyage. Moi qui passait pratiquement toutes mes journées seul, j’ai maintenant des relations avec les gens. Je peux appeler des connaissances, je vois des gens tous les jours qui sont tout juste comme moi. Partager mon histoire avec d’autres qui s’identifient à moi m’aide à m’assumer. Si vous pouvez vous identifier avec quoi que ce soit que j’ai raconté dans ce récit, alors je suppose que vous êtes un gagnant!

Tim Masterson
Rédigé dans le cadre du projet Voices From the Street

Date de publication: 
2007
Nouvel emplacement: 
Toronto, Ontario, Canada