Qu'est-ce que l'itinérance?

Il s'agit d'une question très importante. Bon nombre d'entre nous condamnent trop vite les personnes sans abri pour leurs insuffisances et leurs échecs personnels. Certains d'entre nous continuent à croire que les gens choisissent de devenir des sans-abri et préfèrent le style de vie du «vagabond». Toutefois, l'expérience de la faim constante, les risques accrus de maladies et de blessures, le harcèlement quotidien des passants et la menace continuelle de violence rendent ces croyances douteuses. Toute tentative d'aborder l'enjeu de l'itinérance exige que l'on comprenne ce que l'itinérance signifie.

Définir l'itinérance est à la fois complexe et simple. D'un côté, le terme itinérance détourne notre attention sur toute une gamme de questions sociales et économiques qui provoquent la pauvreté et le logement instable, y compris une fourniture inadéquate de logements abordables, l'insécurité locative, un revenu inadéquat, des crises personnelles, des problèmes de santé, des défis de santé mentale, l'accoutumance, le trauma, des questions touchant les anciens combattants, la maltraitance des enfants et des démêlés avec le système de justice pénale.

De l'autre côté, tel que David Hulchanski l'a fait valoir maintes et maintes fois, la définition de l'itinérance est en fait bien plus simple. Selon lui, c'est une question de logements inadéquats, d'un revenu inadéquat et d'un manque de soutiens sociaux appropriés (Hulchanski, et al., 2009). Le manque de logements et bien sûr au cœur de cette définition. Hulchanski fait souvent référence au chercheur américain dans le domaine du logement Cushing Dolbeare pour se faire comprendre. Cette dernière a écrit : «L'itinérance n'est peut-être pas 'seulement' un problème de logement, mais il s'agit 'toujours' d'un problème de logement; le logement est nécessaire, bien que parfois pas suffisant, afin de résoudre le problème de l'itinérance.» (Dolbeare, 1996).

Le Réseau canadien de recherche sur l'itinérance (RCRI), en collaboration avec des intervenants nationaux, régionaux et locaux, a élaboré une Définition canadienne de l'itinérance. Cette définition commune donne à tous les niveaux du gouvernement, aux groupes communautaires et aux chercheurs un cadre leur permettant de comprendre et de décrire l'itinérance, ainsi qu'un outil pour identifier leurs objectifs, stratégies et interventions, et pour mesurer les résultats et les progrès accomplis.

L'itinérance en tant que problème

Il est important de distinguer les expériences individuelles et personnelles de ceux qui perdent leur maison, de l'itinérance en tant que problème sociétal plus large.

Le problème de l'itinérance et de l'exclusion du logement se rapporte à l'échec de la société d'assurer que des systèmes, un financement et des soutiens adéquats sont en place de telle sorte que tous les gens, même en état de crise, aient accès à un logement. Le but de l'élimination de l'itinérance est d'assurer la stabilité du logement, ce qui signifie que les individus ont une adresse et un logement fixes qui sont appropriés (abordable, sécuritaire, adéquatement entretenu, accessible et de taille acceptable), et comprend les services nécessaires au besoin (services de soutien), en plus d'un revenu et des soutiens (CHRN, 2012: 1).

Cette distinction est importante, car bien que les individus et les familles continueront indubitablement à vivre des crises qui les amèneront à perdre leur logement, l'itinérance est un problème auquel nous, en tant que société, pouvons nous attaquer. Depuis longtemps, le Canada est un pays où la pauvreté existe, et les sans-abri ont toujours eu besoin de services de bienfaisance tels que les refuges d'urgence et les soupes populaires. Cependant, l'itinérance en tant que «problème» n'a fait son apparition qu'au cours des deux dernières décennies. Des changements à la conjoncture économique et au marché immobilier, ainsi que des modifications majeures apportées aux politiques traitant de la pauvreté, ont contribué à la crise d'itinérance que nous connaissons aujourd'hui d'un bout à l'autre du pays.

De nombreuses personnes vous diront que l'itinérance a toujours existé et que le problème n'est pas vraiment nouveau. Bien qu'il soit évident qu'il y a souvent eu des sans-abri au cours de l'histoire et dans les différentes sociétés, ce n'est pas la même chose que dire que l'itinérance a toujours existé. À l'heure actuelle, bon nombre de chercheurs reconnaissent que notre problème d'itinérance actuel a vraiment accéléré dans la dernière partie du vingtième siècle (Hulchanski, et al. 2009). Cela n'était pas lié au fait que de plus en plus de personnes avaient décidé de devenir des sans-abri. En fait, c'était un résultat direct de l'augmentation des niveaux de pauvreté résultant de la restructuration de notre économie et des changements majeurs apportés aux politiques gouvernementales (Snow, 2008; Falvo, 2009).

Cet état des choses a amené un nombre croissant de personnes à se retrouver à la rue ou dans les refuges d'urgence parce qu'ils n'avaient pas accès à un logement sûr et abordable.

Par conséquent, l'itinérance ne peut être définie par le manque absolu d'un abri (bien que ce soit la manifestation la plus évidente de l'itinérance), mais plutôt par la convergence d'une variété de facteurs sociaux d'exclusion qui exacerbent la pauvreté, limitent les possibilités et dressent des obstacles à la pleine participation à la société. Des solutions politiques réelles à l'itinérance exigent que nous nous penchions non seulement sur la question de l'approvisionnement de logements abordables au Canada, mais également sur les questions de l'amélioration de la sécurité du revenu, de l'accès équitable aux soutiens des soins de santé (y compris la santé mentale et l'accoutumance) et de la justice, par exemple.