Qui est sans abri?

La population sans-abri du Canada est très diversifiée en termes d’âge, de sexe et d’antécédents ethnoraciaux. L’étude de Segaert (2012) a identifié l’âge moyen des individus qui fréquentent les refuges comme étant de 37 ans et inclut les enfants, les jeunes, les adultes et les personnes âgées. II est intéressant de noter que ceux de 65 ans et plus constituaient un peu plus de 1,7 % des usagers des refuges, ce qui peut s’expliquer par les avantages accrus accordés aux personnes âgées, mais aussi par le taux de mortalité bien plus élevé des sans-abri chroniques (Hwang, et collab. 2009).

Bien que l’itinérance puisse affecter n’importe qui, nous savons que certains groupes d’individus sont plus susceptibles d’être sans-abri que d’autres.

LES HOMMES Célibataires entre 25 et 55 ans forment presque la moitié de la population des sans-abri au Canada (47,5 %), d’après l’étude de Segaert. Les caractéristiques de ce groupe incluent un plus grand nombre de maladies mentales, d’accoutumance et d’infirmités, y compris des infirmités invisibles telles que des lésions cérébrales et du TSAF. Il est indéniable que les hommes célibataires constituent un grand pourcentage de la population des sans-abri chroniques, suggérant que les efforts axés sur cette population sont justifiés.

En même temps, il est important de noter que d’autres souspopulations doivent faire face à des risques uniques et/ou des circonstances spéciales, y compris les jeunes, les Autochtones, les femmes et les familles. Les expériences spécifiques de l’itinérance étant différentes d’un groupe à l’autre, les stratégies pour résoudre leur itinérance doivent être adaptées aux différents besoins.

LES JEUNES : les jeunes âgés de 16 à 24 ans constituent à peu près 20 % de la population sans-abri d’après Segaert, bien que les taux de prévalence soient les mêmes que ceux des hommes adultes (308/100 000 pour les jeunes contre 318/100 000 pour les hommes entre 25 et 55 ans). Cependant, les causes et les conséquences de l’itinérance chez les jeunes sont distinctes de celles qui affectent les adultes. Contrairement à la majorité des adultes, les jeunes sans-abri proviennent de foyers où ils étaient à la charge d’autres adultes. Ils viennent traditionnellement de foyers caractérisés par des conflits familiaux quelconques (y compris dans certains cas de la violence physique et sexuelle et de l’abus émotionnel), des perturbations dans leur vie scolaire et familiale, de l’abus, de la négligence et de la pauvreté. Beaucoup font face aux défis du développement adolescent et n’ont pas l’expérience de vie, les aptitudes ni les soutiens nécessaires pour vivre indépendamment, y compris la possibilité d’obtenir un emploi et un logement. Les jeunes sans-abri sont aussi plus vulnérables aux crimes et à l’exploitation. Tous ces facteurs accroissent le défi que pose le soutien de ce groupe, les besoins d’un jeune de 16 ans étant très différents de ceux d’une personne plus âgée.

Dans beaucoup d’études sur l’itinérance chez les jeunes, les jeunes qui sont lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et transsexuels sont surreprésentés, constituant entre 25 et 40 % de la population des jeunes sans-abri, comparé à 5 à 10 % seulement de la population totale (Josephson & Wright, 2000). Il est important de noter cela, car la persistance de l’homophobie joue clairement un rôle dans l’itinérance chez les jeunes, les minorités sexuelles étant surreprésentées parmi les populations des jeunes de la rue, et l’itinérance étant le résultat de tensions entre le jeune et sa famille, ses amis et la communauté. L’homophobie au sein du secteur de l’itinérance peut accroître davantage le harcèlement de cette population.

LES FEMMES : bien que le pourcentage de femmes appartenant à la population des refuges d’urgence soit moins élevé que celui des hommes (hommes : 73,6 %, femmes : 26,2 % (Segaert, 2012: 14)10, les circonstances uniques auxquelles les femmes font face doivent être abordées. Les femmes sont à plus haut risque d’itinérance cachée, vivant dans des conditions de surpopulation ou possédant assez d’argent pour un refuge, mais pas pour les autres besoins de base. De plus, d’après l’Enquête sociale générale de 2009, 6 % des femmes ont rapporté une forme ou autre d’attaque venant de leur partenaire intime (conjoint) (Sinha, 2013:24). La violence familiale est une cause majeure d’ itinérance chez les femmes, et bien que certaines femmes recourent aux refuges pour femmes victimes de violence, d’autres finissent par fréquenter les refuges pour sans-abri. Un dénombrement ponctuel des femmes résidentes effectué en 2012 a démontré que la violence était la raison la plus communément citée pour les admissions (71 %) et la majorité (60 %) ne l’avait pas rapporté à la police (Burcycka et Cotter, 2011:5).

Quand les femmes deviennent sans-abri, elles sont sujettes à un plus grand risque de violence et d’agression, et d’exploitation et d’abus sexuel (Gaetz et collab., 2010; Paridis & Mosher, 2012), ce qui pourrait expliquer les nombres peu élevés de femmes dans le système des refuges. C’est-à-dire, de nombreuses femmes éviteront à toux prix le système des refuges, quittes à rester dans des relations dangereuses et malsaines et/ou faire des arrangements pour emménager avec un partenaire (même si la situation est dangereuse) plutôt que de se soumettre aux risques incroyables de violence et d’exploitation de la rue.

LES AUTOCHTONES : les personnes autochtones (y compris les Premières nations, les Métis et les peuples Inuits) sont surreprésentées parmi la population itinérante dans pratiquement tous les centres urbains au Canada. L’expérience du colonialisme (ayant engendré un traumatisme intergénérationnel), la pauvreté, ainsi qu’un racisme extrême dans beaucoup de villes canadiennes, créent des possibilités plus limitées et un plus grand risque d’itinérance. Pour déterminer la façon de résoudre le problème de l’itinérance chez les Autochtones, il est par conséquent nécessaire de prendre en considération les différences historiques spécifiques, vécues et culturelles, ainsi que la colonisation et le racisme : «L’expérience de l’itinérance des Autochtones urbains diffère de celle du reste des Canadiens en raison d’un environnement de politiques complexes reposant sur une prémisse d’infériorité culturelle et la participation sociétale forcée.» (Belanger et collab., 2012:15). Il est aussi important de prendre en considération l’extrême pauvreté, le manque de possibilités et les logements inadéquats dans beaucoup des réserves en tant qu’un des moteurs de migration vers les villes. Plus encore, l’histoire coloniale du Canada, y compris la Loi sur les Indiens, qui identifie ceux qui sont «qualifiés» pour obtenir le statut d’Autochtone et par conséquent peuvent avoir accès à divers avantages; l’histoire des pensionnats (qui ont enlevé les enfants Autochtones à leurs familles, leurs communautés et culture et ont exposé beaucoup d’entre eux à l’abus); et la discrimination, le racisme et l’oppression systémique soutenus qui affectent toujours l’accès des Autochtones aux services, programmes et soutiens. Nous avons trouvé que même si les Autochtones constituent 6 % de la population totale, ils sont considérablement surreprésentés au sein de la population des sans-abri.

LES FAMILLES : la structure des familles sans-abri est variée, certaines incluant deux parents, et beaucoup ayant à leur tête un seul parent (généralement une femme). L’itinérance familiale est en grande partie étayée par des facteurs structuraux, y compris des revenus insuffisants, un manque de logements abordables et de la violence domestique. À la suite de l’abandon des programmes de logements sociaux et la diminution des soutiens gouvernementaux, davantage de familles se tournent vers les refuges d’urgence.