Un homme passe dix ans dans la rue, mais n'a jamais perdu son esprit d'entrepreneur…

Ma petite amie m'a introduit à la crack cocaïne et ce fut le début de ma ruine. J'étais un homme d'affaires qui avait réussi. Ma petite amie m'a introduit à la crack cocaïne et ce fut le début de mon déclin. En deux ans, j'étais ruiné et je recevais l'assistance sociale. Ça m'a pris huit ans de plus avant que je me sorte de la rue.

J'ai essayé de vivre dans un refuge, mais les conditions étaient inacceptables. Après le petit-déjeuner, on nous jetait dehors, peu importe le temps, jusqu'à l'heure du lunch. Après le déjeuner, on nous remettait à la rue, jusqu'à l'heure du dîner. Si on ne revenait pas à une heure précise, nous perdions nos lits et nos possessions étaient jetées dans les trois jours suivants. On dormait dans une salle avec 50 autres hommes, dans des lits qui étaient à deux pieds les uns des autres. Pouvez-vous imaginer d'essayer de dormir avec 50 hommes qui parlent, rient, pleurent, toussent et lachent des vents comme bruit de fond constant, ou avec la peur d'attraper leurs maladies ou leurs parasites? Ça ne m'a pris que quelques jours avant que je décide de choisir la liberté relative des rues.

J'ai trouvé un garage vide juste avant Noël durant le pire hiver que Toronto ait connu en 50 ans. C'est comme ça qu'ont commencé 10 années de recherche d'endroits pour m'abriter et pour entreposer mes possessions. On m'a découvert peu de temps après et on m'a forcé à reprendre mon chemin.

Un jour, un ami et moi avons regardé un sergent de la 14e Division tremper mon squat et mes possessions d'essence, et mettre le feu au tout. Une clinique d'aide juridique m'a aidé à déposer une plainte contre l'agent. Un an plus tard, on m'a avisé que la plainte avait été enquêtée et qu'aucune raison n'avait été trouvée pour poursuivre la procédure. Ils ne m'avaient pas interviewé, ni moi, ni le témoin. Voilà ce que valent mes droits! Il était évident que j'étais dépouillé de mes droits de l'homme, car j'étais perçu comme un être moins qu'humain.

Pendant les dix années que j'ai passé dans la rue, l'aide sociale pour les sans-abri seuls, qui était euphémiquement nommée Ontario au travail, s'élevait à 195 $ par mois. J'ai commencé à mendier auprès des voitures passantes pour ajouter à mon revenu. Cet argent m'a permis de soutenir mon accoutumance et moi-même, sans avoir recours au crime. Mais dans ses efforts de criminaliser la pauvreté, le gouvernement a promulgué la Loi sur la sécurité dans les rues, ce qui a rendu la mendicité illégale.

Il y a quelques années, je travaillais (je mendiais) lorsque trois agents à bicyclette se sont arrêtés pour me donner une contravention. Le premier agent m'a demandé «Pourquoi tu ne fais pas quelque chose d'utile avec ta vie?» Je lui ai répondu : «J'ai fourni plus de 2000 années-homme d'emploi dans cette ville. Et toi, qu'est-ce que tu as accompli?» Un tramway arrivait et l'agent noir m'a menacé de me jeter sur les rails. Je l'ai attrapé par la veste et j'ai commencé à le tirer avec moi devant le tram, en lui disant : «Ben vas-y, mais tu viens avec moi!» Le troisième agent m'a ramené sur le trottoir. Il m'a parlé pendant quelques minutes, m'a donné deux dollars et il sont partis.

Il a deux ou trois ans, deux agents ont jeté un des mes amis d'un pont qui traverse la voie ferrée à Spadina et Front. Il a subi de multiples fractures aux deux jambes.

Il y a de très mauvais policiers à Toronto, mais il y en a aussi beaucoup de bons. Il y en a qui m'ont donné de l'argent, de la nourriture et des vêtements. Ils sont venus me voir quand il faisait froid pour s'assurer que j'allais bien. La plupart sont OK, mais on les met tous dans le même sac. Quand l'un d'entre eux nous bat ou nous harcèle, ils deviennent tous l'ennemi. Certains sans-abri le méritent et on paye tous pour leurs crimes, mais la plupart d'entre nous n'ont que la survie en tête. La plupart d'entre nous essaient de passer inaperçus, mais ça devient de plus en plus difficile puisque les autorités sont en train de clôturer toutes les cachettes où nous allons dormir ou prendre nos drogues. Quand il n'y a nulle part où se cacher, nous sommes forcés de rester dans des endroits publics. Je me demande ce qui est mieux?

Les trafiquants coupent les drogues et on ne peut même plus atteindre un «high» satisfaisant. Parfois ces drogues vous rendent malade ou vous tuent. Ce n'est pas leur problème. On ne va pas aller se plaindre au Bureau d'éthique commerciale du Canada! Un de mes amis était en retard pour payer ses dettes à un narco et le salaud l'a battu avec un tuyau d'acier. Il a reçu plus de 100 points de suture sur la tête.

J'ai vu des transactions se faire devant les policiers et ils font semblant de ne rien voir. Si un narco se fait attraper, il recommence tout de suite. S'il est reconnu coupable, on lui donne une tape sur la main et les patrons lui donnent une promotion. C'est tout organisé. Si un narco indépendant se lance, les narcos associés le livrent à la police pour leur montrer qu'ils ont de bonnes intentions, mais en fait, ils empêchent la concurrence de venir sur leur territoire. Entre temps, la politique adoptée par la police est de laisser les narcos de la rue tranquilles et de poursuivre les patrons. Tout le monde sait que ceux-là sont protégés.

Si les autorités voulaient empêcher que le crack ruine la vie des gens, ils devraient poursuivre tous les trafiquants de drogue de la rue. S'ils étaient arrêtés, si on leur refusait la liberté sous caution et si on leur donnait des peines plus longues, on ferait bien comprendre que c'est inacceptable à tous ces voyous qui croient qu'il n'y a rien de mal à tuer les gens en leur vendant des drogues pour faire de l'argent. Les peines devraient être les mêmes que pour les meurtres prémédités, parce que c'est réellement la même chose. Au lieu de cela, le système cible les victimes des crimes en mettant les toxicomanes en prison.

Lorsque je fumais, je ne pouvais pas manger. Je roulais un joint ou je buvais du vin pour me donner de l'appétit et ralentir le battement de mon cœur. Sans marijuana, je serais probablement mort de faim. Je pesais à peine 100 livres quand j'étais un sans-abri. Lorsque j'étais recherché par quelqu'un, je passais souvent 5 ou 7 nuits sans dormir et je mangeais très peu. En fait, je ne dormais jamais vraiment. Je continuais jusqu'à ce que je tombe raide de sommeil. Puis je me reposais pendant quelques jours et je mangeais comme un porc jusqu'à ce que je doive à nouveau courir. Si je n'étais pas high ou en train de trouver un moyen de le devenir, j'étais probablement évanoui. Si je n'atteignais pas mon squat avant que je sois complètement épuisé, j'avais peur de devoir faire face aux policiers ou de me faire attaquer par un imbécile qui trouvait drôle de tabasser un sans-abri. J'ai oublié comment dormir. Encore aujourd'hui je souffre de troubles de sommeil. Il est rare que je dorme plus d'une ou deux heures d'affilée.

J'ai vécu pendant deux ans dans un abri que j'avais construit près de Old Fort York. J'avais une fenêtre coulissante, une terrasse sur le toit, un barbecue et un jardin. J'avais un four et une lampe au propane qui offrait assez de chaleur pour me tenir au chaud. La police l'a trouvé et l'a détruit avec un bulldozer.

J'ai failli mourir une nuit. Je courais depuis 7 jours et je me suis évanoui près de la flamme d'une bougie. Heureusement, il faisait moins 25 et je portais 7 couches de vêtements. Je me suis réveillé quand les flammes avaient détruit toutes les couches de mes vêtements et brûlaient ma peau. J'ai éteint le feu et je me suis ré-évanoui. Quand je me suis réveillé, je croyais avoir rêvé, jusqu'à ce que je me rende compte que mes vêtements n'étaient plus que des cendres.

Les enfants étaient un problème. Ils me jetaient des pierres et, une nuit, ils ont mis le feu à mon abri alors que je dormais à l'intérieur. J'ai senti la fumée et je me suis réveillé à temps pour éteindre le feu. Il y a vingt ans, lorsque je suis devenu un toxicomane, je croyais que c'était comme fumer un peu de marijuana, quelque chose qu'on partageait avec des amis à une partie. J'ai essayé d'arrêter pendant des années, mais je n'y arrivais jamais pendant plus de deux semaines. Après quelques jours sans substances, je recommençais à y penser et c'était tout ce qu'il me fallait pour que je m'y remette. Si j'arrivais à passer au dessus de cette envie, les symptômes physiques de sevrage commençaient : douleur, nausées, diarrhées. Le seul moyen d'y mettre fin était de prendre des drogues. Les trafiquants devenaient riches à mes dépens, donc si je ne venais pas les voir au bout de quelques temps, ils venaient à moi pour me donner des drogues gratuites pour que je recommence à en prendre.
La seule chose qu'un toxicomane connaît, c'est le monde des drogues. Quand il s'arrête d'en prendre, il doit couper tout contact avec tous les gens qu'il connaît. Il doit tout quitter et il n'y a rien pour remplacer le vide. C'est pour cela que Cocaïnomanes anonymes est tellement populaire. Cet organisme donne au cocaïnomane un point d'ancrage, des gens à qui parler qui partagent un problème commun. Ce programme est efficace en tant que système de soutien transitoire, mais il ne s'agit qu'une extension de la culture des drogues. Chaque personne qui y est présente est un toxicomane.

La plupart des gens ne se rendent pas compte qu'il s'agit d'un programme de transition et n'évoluent jamais plus loin. Si le toxicomane ne parvient pas à se refaire une nouvelle vie en dehors de cette culture de drogue, il est fort probable qu'il rechutera. Les programmes de réadaptation qui encouragent le toxicomane à reprendre la même vie qu'il avait avant les drogues sont voués à l'échec. Si le toxicomane avait été heureux dans sa vie antérieure, il ne serait pas devenu un toxicomane. Un programme qui se concentre sur l'exploration des possibilités d'une nouvelle vie a plus de chances de réussir.

Le moment le plus dangereux est lorsque l'ennui s'installe. La tête essaiera d'y remédier. La première chose qui viendra à l'idée d'un toxicomane est de prendre des drogues. Les programmes de réadaptation devraient encourager les patients à rester occupés au travail, à l'école, en faisant du bénévolat ou à l'aide de hobbys. Au profond de l'inconscient du toxicomane se trouve un piège. On est capable de se faire croire que lorsqu'on a été clean depuis un certain temps, on peut recommencer à utiliser des drogues avec désinvolture. Bon nombre de toxicomanes ne réalisent jamais qu'on ne peut pas être un toxicomane à mi-temps. Si un toxicomane reprend des drogues même une seule fois, il redeviendra éventuellement un toxicomane à plein temps.

Au cours de la première phase de la réadaptation, il est très important d'éviter ses anciens amis et les lieux qu'on fréquentait auparavant. Même le plus fort d'entre nous peut succomber à la tentation quand elle nous fait face.
Si on en fait trop en trop peu de temps, on peut avoir des sentiments de frustration et d'insuffisance, ce qui peut nous ramener droit sur le chemin de l'abîme.

Chaque mois, quelqu'un meurt dans la rue. La plupart de ces décès pourraient être évités. Si on fournissait aux toxicomanes un domicile adéquat et un traitement réaliste, on pourrait éviter les décès dus à l'exposition aux éléments, à la violence, aux maladies et aux surdoses. Quand on est forcé de vivre dans la rue, c'est une condamnation à mort imposée par les politiciens qui refusent de légiférer un salaire minimum et une aide sociale qui sont suffisants pour payer les loyers du marché.

Les sans-abri «s'usent» jusqu'à ce qu'ils meurent. Les gens deviennent des sans-abri pour des raisons économiques plus que toute autre, même si le revenu moyen de la classe intermédiaire s'élève à plusieurs centaines de milliers de dollars par an. Un sans-abri qui touche l'assistance sociale reçoit 3 000 $ par an. Où est la justice? Pourquoi n'y a-t-il pas d'argent pour aider les personnes au bas de l'échelle à trouver un logement?
Les manifestations font plus de mal que de bien et ne servent qu'à flatter l'amour-propre des activistes. Je ne vois pas comment qui que ce soit peut convaincre les gens à avoir de la sympathie pour cette populace qu'ils croient résolue à perturber leurs vies. Je crois que si les gens parvenaient à mieux nous comprendre, ils seraient plus aptes à agir afin de rendre nos vies moins dangereuses.

C'est horrible d'être traité comme un moins que rien. Les gens devraient se rendre compte à quel point c'est facile de se retrouver à nos côtés dans la rue. Combien de gens pourraient préserver leur haut niveau de vie s'ils perdaient soudainement leur emploi? L'aide sociale a été conçue en tant que filet de sécurité pour empêcher cette tragédie, mais les politiciens âpres au gain l'ont détruite. Ils équilibrent le budget au détriment des personnes les plus pauvres de la société. Comment peuvent ils justifier notre condamnation à mort dans la rue? On dirait qu'on est en pleine dépression plutôt qu'au sein du plus long boom économique qu'on ait jamais connu.
Lorsque tu as vécu dans la rue pendant un certain temps, tu commences à croire que tu mérites d'être traité comme une personne jetable. C'est difficile de préserver son estime de soi lorsque tu es forcé à mendier et à manger les détritus des autres.

Le 2 mars 2005, j'ai appelé un travailleur d'approche et je lui ai demandé de m'aider à entrer au St. Michael's Detox Centre. C'était la dernière fois que j'ai pris des drogues ou bu de l'alcool. J'y ai passé six semaines et j'y ai enduré un sevrage brutal, je me suis reposé, j'ai mangé, j'ai fait des séances de counselling et j'ai retrouvé ma santé.

J'ai emménagé dans un foyer de transition pour les anciens toxicomanes. Là, j'ai assisté à des sessions de réadaptation hebdomadaires à titre de patient externe au Salvation Army Harbour Light Centre. J'ai fait la demande d'un meilleur logement. J'étais sur une liste d'attente depuis des années et j'avais encore des années à attendre, mais puisque j'étais un aîné, j'ai obtenu un logement dans un édifice pour aînés. L'appartement que j'ai à l'heure actuelle était disponible dans quelques mois et j'y ai emménagé le 1er octobre 2005.

Rien de tout ça n'aurait pu arriver à l'heure actuelle. Le gouvernement de McGuinty a fermé plusieurs des centres de désintoxication et a réduit le temps de séjour à moins d'une semaine. Aucun toxicomane peut se préparer à une vie sans drogues en si peu de temps, et il n'y a donc plus d'espoir maintenant. Même si une personne parvient à entrer dans un centre de désintoxication, il sera relégué à sa vie de drogues dans la semaine qui suit. C'est la preuve que le gouvernement est déterminé à condamner les toxicomanes à une vie de désespoir qui se terminera en une mort prématurée.

Mon hobby, la photographie numérique, m'aide à me tenir occupé pour m'empêcher de commencer à penser aux drogues. J'améliore mes photos sur mon ordinateur. Le produit fini est mon impression artistique de l'image et j'appelle ça Digital photoArt.

J'ai réussi! Les autres aussi pourraient réussir. La plupart des toxicomanes veulent s'arrêter. Tout ce dont ils ont besoin est un meilleur système de soutien et de réadaptation et un domicile, et un grand nombre d'entre eux se remettraient d'aplomb.

Date de publication: 
2007
Nouvel emplacement: 
Ontario, Canada