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Logement d'abord est dorénavant largement reconnu à titre de la solution la plus efficace dans la lutte contre l'itinérance dans les nations industrialisées. Ce modèle concentre ses actions sur l'emménagement rapide dans des logements indépendants et permanents, où que les individus soient situés dans leur cheminement personnel. Ceci contraste avec les modèles antérieurs qui exigeaient que les personnes soient à une certaine phase de rétablissement, aient déjà accédé à un traitement pour leurs troubles de santé mentale, ou traversent déjà un processus progressif d'indépendance accrue. La recherche a maintenant démontré qu'on obtient de meilleurs résultats lorsque les individus ont accès à un logement. Toutefois, il y a plusieurs questions difficiles qui ont été posées au sujet de ce modèle et que j'aimerais soulever dans ce message.

1) Est-ce que Logement d'abord fait passer les hommes d'abord?

L'année passée, Toits pour elles (TPE) a publié un livre blanc important intitulé Logement d'abord, les femmes ensuite? Ce document jette de la lumière sur le manque d'une approche gendrée à l'échelle nationale de la mise en œuvre de Logement d'abord pour le financement du projet. Cela entraîne le risque que les meilleures pratiques concernant l'itinérance féminine, et notamment celles qui tiennent compte de l'ubiquité de la violence que vivent les femmes, soient perdues. Nous savons que l'expérience de l'itinérance sont différentes pour les femmes et pour les hommes, et ce document souligne des différences importantes telles que la nature plus dissimulée de l'itinérance chronique chez les femmes.

Logement d'abord place-t-il les femmes en second? Je suggère que c'est le cas seulement si on le permet. Le principe de base voulant que le logement est le fondement le plus important pour éliminer l'itinérance est tout aussi vrai pour les hommes que pour les femmes. Cependant, cela est déterminé lors de la mise sur pied du programme. Les besoins des femmes seront secondaires seulement si le programme ne tient pas compte des meilleures pratiques déjà élaborées et accumulées au cours de dernières décennies. Il est important de relever que Logement d'abord comprend différents types de logements; le concept de vie indépendante étant défini de façon fluide. Deuxièmement, il s'agit de logements avec soutiens, lesquels peuvent également varier. Par conséquent, Logement d'abord ne mettra pas intrinsèquement les besoins des femmes en deuxième, tant que nous continuions à ramener ces besoins à l'avant-plan.

2) Les logements indépendants ne sont-ils pas dangereux pour les femmes qui ont récemment fui un partenaire violent?

Cette question se rapporte étroitement à la question précédente sur les besoins des femmes. Si tous les programmes Logement d'abord entraînent un emménagement rapide dans une résidence privée, cela mettrait en effet à risque les femmes qui fuient la violence. Un taux élevé d'ex partenaires retrouvent les femmes qui ont fui la violence, ce qui rend la planification de sécurité inhérente à l'habitation collective bien plus efficace. Néanmoins, le professeur Stephen Gaetz souligne qu'il n'est pas nécessaire d'abandonner les modèles transitionnels dont on a prouvé l'efficacité auprès de certaines sous-populations, telles que les femmes. En effet, les chercheurs et les chefs de file du mouvement des femmes ont noté le manque de logements de troisième étape, soit essentiellement des logements permanents qui offrent des services de soutien. Un modèle Logement d'abord signifierait l'entretien de logements de deuxième étape lorsque cela est efficace, sans pour autant oublier qu'un logement de troisième étape est le but ultime. Une fois de plus, cela dépend d'une bonne mise en œuvre.

3) Pourquoi y a-t-il tant de décès dans les programmes Logements d'abord?

Je fais partie d'une équipe de recherche qui évalue les résultats en matière de santé du premier groupe d'individus participant au programme London CAReS. Tous ces individus étaient des sans-abri chroniques et la plupart d'entre eux vivaient des problèmes de toxicomanie chronique. Dans ce cas-ci, lorsque je parle de toxicomanie chronique, je veux dire une utilisation persistante et élevée de substances, y compris la dépendance aux rince-bouche et l'usage important de drogues injectables. Nous avons témoigné d'un nombre élevé de décès d'individus participant au programme. Cela a également été remarqué par les travailleurs dans le secteur et a soulevé des questions sur les programmes Logement d'abord dans l'ensemble et les risques pour les participants.

Certains de ces décès font partie de ceux qui sont déjà anticipés dans cette sous-population où l'usage des substances est considérable. Cependant, j'aimerais émettre l'hypothèse qu'un autre phénomène entre en jeu ici. Bon nombre de ces personnes font des surdoses de manière constante au cours de leur itinérance, mais étant donné que cela se produit dans le contexte d'une agence où d'autres résidents ou du personnel sont présents, on les transporte à l'hôpital où ils sont réanimés. Donc, lorsqu'on installe un individu qui continue à utiliser un niveau élevé de drogues ou d'alcool dans un logement plus indépendant, cela les expose à un plus haut risque d'overdose sans être découverts. La difficulté est que cette vie indépendante dans une habitation permanente et abordable est le désir de l'individu. On ne veut pas leur nier ce droit. On ne veut absolument pas forcer les gens à habiter dans un refuge à long terme, mais nous devons également être conscients, et rendre les résidents conscients, du risque que représente l'utilisation de substances en privé.

4) Le modèle Foyer n'est-il pas préférable pour les jeunes itinérants?

Le modèle Foyer de logements de transition pour jeunes itinérants est prisé en Europe et a également été adopté au Canada. En bref, il s'agit d'un modèle de logement de transition plus à long terme, qui rejette la limite commune de 364 jours et incorpore les services d'accompagnement dont l'éducation, l'emploi et le développement d'aptitudes à la vie quotidienne. Comparer les programmes Foyer et Logement d'abord lancerait des débats de sémantique sur ces modèles. Si le modèle Foyer est mis sur pied sans date de sortie, il s'agit donc d'un logement permanent, indépendant et abordable avec soutiens; mais il s'agit aussi d'un degré particulier de soutien. Si une date de sortie, par exemple de 3 ans, est en effet établie, il serait nécessaire de lancer un débat et de repenser le programme et les services afin qu'ils entraînent vraiment le logement permanent. Toutefois, cela ne signifie pas que l'on doit rejeter les meilleures pratiques qui ont été créées en Europe, mais plutôt qu'on doit les intégrer dans Logement d'abord.

5) Logement d'abord, c'est bien beau, mais que faire s'il n'y a pas de logements?

Afin d'empêcher que les gens n'entrent dans le système des refuges ou pour les transférer rapidement hors des refuges, il faut des logements abordables. Dans les communautés partout en Ontario, nous faisons face à des listes d'attente de 2 à 20 ans pour des logements sociaux, et bon nombre de communautés ont des taux d'inoccupation de 2 %, ce qui décourage le marché d'ajouter de tels logements. Toutefois, des exemples locaux montrent qu'il existe des moyens novateurs pour accroître l'approvisionnement des logements. La première façon est de profiter des logements du secteur privé dans les communautés qui ont un taux d'inoccupation indiquant que des logements locatifs sont disponibles. À London, cela signifie une subvention au loyer d'environ 200 $ pour faire passer l'allocation au logement d'Ontario au travail d'un individu d'environ 375 $ à 575 $ – ce qui leur permet d'accéder au marché locatif moyen. Bien que cet investissement dans le logement n'entraîne pas l'augmentation de capital pour le Service du logement que l'on obtiendrait avec de nouveaux logements, le coût de 200 $ est bien inférieur à ce que la municipalité dépense pour garder un individu dans un refuge (environ 1230 $ par mois).

Une autre façon de considérer l'approvisionnement de logements abordables accru est avec des façons novatrices de favoriser la disponibilité des logements par l'intermédiaire de nouvelles constructions. En ce moment, à London, nous sommes sur le point d'élaborer une Société de développement des logements (Housing Development Corporation, or HDC), qui augmentera le nombre d'unités projetées de logements abordables de 450 à 1 000 au cours des dix prochaines années, et ce sans nécessairement exiger un nouvel investissement municipal. Cela peut être exécuté en optimisant le financement à travers tous les ordres du gouvernement main dans la main avec les fonds charitables et les investissements du secteur du privé. Cela signifie que des objectifs ambitieux en matière de logements abordables peuvent être atteints tout en continuant à investir dans les solutions à court terme immédiates, telles que les suppléments au loyer.

6) Les toxicomanes chroniques peuvent-ils vraiment rester logés de façon permanente?

Lorsque London CAReS a commencé à placer les sans-abri les plus chroniques de la communauté dans des logements permanents et indépendants, un grand nombre de personnes dans le secteur étaient pour le moins sceptiques. Il s'agissait d'individus que l'on avait essayé de reloger à maintes reprises, mais qui finissaient toujours par retourner dans les refuges. Comment London CAReS pouvait-elle améliorer cette situation? Le temps qui passe a été révélateur. En effet, la majorité des individus participant au programme CAReS ont su garder leur logement en dépit de l'adversité.

Cela démontre que les personnes qui vivent avec des toxicomanies chroniques peuvent rester logés, mais aussi que des soutiens adéquats sont nécessaires. Dans ce cas-ci, les bons soutiens comprenaient une gestion de cas intensifs et un travailleur pour dix participants – ce qui est coûteux mais entraîne des résultats positifs en matière de santé et de systèmes sociaux, et bien entendu, en matière de résultats pour les participants. Chacun qui veut être logé peut être logé (et des recherches sur 200 sans-abri affligés de défis de santé mentale à London ont dévoilé que 100 % d'entre eux désiraient un logement.)

7) Comment se fait-il que des participants au programme Logement d'abord aient toujours accès à un haut niveau d'autres services?

On prévoit que les bénéfices de Logement d'abord incluront une baisse de l'utilisation des services de santé, sociaux, d'urgence et correctionnels. Des baisses ont déjà été perçues dans les domaines de la santé, des services d'urgence et des services correctionnels, mais les individus qui participent au programme Logement d'abord utilisent toujours fréquemment les services sociaux. Par exemple, ils continuent à utiliser les centres de jour et les programmes alimentaires quotidiennement. Cela continue à mettre une pression sur des ressources limitées dans le secteur des services sociaux mais ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Souvenez-vous que Logement d'abord signifie un logement avec des soutiens. Ce qui est en train d'arriver est que les individus définissent les soutiens dont ils ont besoin, et il s'agit souvent des services qu'ils ont appris à connaître durant leur expérience d'itinérance. Si ces services sont efficaces pour ces individus, cela signifie qu'ils ont toujours une grande valeur.

Cependant, l'objectif ultime serait d'intégrer les personnes dans les collectivités. Dans mon esprit, il s'agit là du travail central dans la lutte contre l'itinérance à l'heure actuelle. Nous avons réussi à faire passer les gens des refuges dans des logements, et à les garder logés, mais nous n'avons pas vu beaucoup de résultats positifs en matière d'intégration sociale et d'activités récréatives. Il est bien entendu préférable que ces individus soient dotés d'un cercle social de personnes de la rue plutôt qu'être isolés socialement, mais les meilleurs résultats à long terme sont atteints lorsque les gens ont un sentiment d'appartenance au lieu où ils vivent et fréquentent des réseaux sociaux plus divers. Tant que nous ne serons pas plus aptes à aider les gens à s'intégrer socialement, nous devrons nous attendre (et permettre) à une utilisation élevée des services pour sans-abri par les individus qui sont dorénavant logés.

Ce message a été republié avec la permission de Abe Oudshoorn's Blog.