Psychotropes et sociétés: étude à partir de l’usage rituel d’un hallucinogène naturel (Ayahuasca) dans le cadre de la médecine traditionnelle en amazonie péruvienne. Thèse de doctorat sous la direction de Shirley Roy

L’origine de cette thèse est un questionnement sur l’usage différencié de psychotropes dans les sociétés contemporaines et sur la question des frontières entre drogues et médicaments psychotropes, pathologie mentale et souffrance, thérapeutique et confort (Ehrenberg, 1991, 1995, 2000; Ehrenberg et Mignon 1998). L'hypothèse centrale est : les effets sociaux et individuels des usages de psychotropes dépendent davantage des rapports sociaux dans lesquels ils s'inscrivent que des qualités biochimiques des substances. Ces rapports sociaux sont le fruit d'une articulation à chaque fois particulière entre les représentations des substances, les contextes d'usages et les finalités attendues des usages. Ils font intervenir des normes, des valeurs et des croyances, médiatisées par l’imaginaire en tant que réservoir d’images et l’imagination en tant que fonction psychique (Durand, 1998). Pour explorer cette idée, nous avons étudié l’usage d’un hallucinogène naturel (Ayahuasca) dans le cadre de la médecine traditionnelle amazonienne péruvienne. L’usage rituel étudié et les traductions des états psychiques faisant suite à l’ingestion interpellent les notions de santé, de maladie mentale et de normativité. Cette dernière est un précieux indicateur anthropologique et sociologique d’un dialogue particulier entre subjectivité et socialité.

Au cours de notre travail d'analyse (d’entrevues semi-dirigées menées auprès de guérisseurs et d’usagers de l’Ayahuasca), nous montrons comment l'attribution de significations à un état psychique spécifique (celui faisant suite à l'ingestion) relève de la normalité alors qu'il évoque des formes pathologiques reconnues par la psychiatrie. La modification de conscience faisant suite à l'ingestion de la substance est un état temporaire, encadré par la ritualisation. Les significations conférées à ce vécu particulier (entendre des voix, être attaqué par des monstres par exemple), indiquent un contact avec une dimension invisible du réel. L'originalité de cette thèse réside dans la démonstration des mécanismes et processus qui font d'un état d'étrangeté et d'altérité à soi une expérience structurante, thérapeutique et créatrice de lien social. Les mécanismes de régulation et l'efficacité de l'usage résident essentiellement dans son caractère sacré : le dispositif central par lequel se comble la césure entre l'intériorité et l'extériorité est la présence culturellement ancrée et phénoménologiquement attestée d’une dimension invisible du réel. L'usage de l’Ayahuasca est en cela un fait psychique de nature sociale, et simultanément, un fait social de nature psychique. Il permet des manipulations symboliques spécifiques des catégories du bien et du mal, du réel et de l’imaginaire par et dans un vécu du sacré. Il participe également à la formation d’une éthique individuelle enchâssée à une éthique sociale : le souci de soi est indissociable du souci de et pour autrui. (extrait du résumé de la thèse)

Date de publication: 
2007
Editeur: 
Université du Québec à Montréal
Nouvel emplacement: 
Amazonie, Pérou