Le souvenir d'un homme qui a passé 17 ans dans la rue et dans les refuges

Aujourd'hui, je ne fume plus et je ne bois plus, parce que sinon, je me retrouverais à nouveau dans la rue, en un rien de temps. Bonjour, je m'appelle Guy Ricard. J'aimerais comprendre pourquoi certaines personnes se retrouvent dans la rue, sans endroit où aller. Et j'aimerais savoir ce qu'on pourrait faire pour résoudre ce problème.

Avoir un endroit où dormir, de la nourriture à manger et un endroit où on peut se laver sont des droits de l'homme auxquels chaque individu devrait avoir accès. Alors pourquoi y a-t-il tant de misère et de désespoir dans les rues de nos villes?

Notre société offre de l'aide lorsqu'on se trouve dans une telle situation. Premièrement, il y a l'assistance sociale, les soupes populaires et les refuges. Ces services offrent les besoins de base aux personnes en détresse qui ont besoin d'aide. Mais il est très difficile de trouver quelqu'un qui essaie de comprendre pourquoi certaines personnes se retrouvent dans des situations comme ça. En bref, le système ne se concentre pas sur chaque cas, faute de temps, et ne leur donne pas l'attention qu'il faut.

J'ai passé 17 ans de ma vie à suivre des gens sans abri et à essayer de comprendre pourquoi ils se retrouvent dans la rue. Après toutes ces années, je pense que l'accoutumance aux substances est la plus grande cause de l'itinérance.

Mes trois premières journées dans la rue…
Lorsque je suis arrivé à Montréal en 1988, j'avais de l'argent dans mes poches,mais je l'ai dépensé dans les tavernes. Quand je n'avais plus d'argent, mon aventure a commencé.

Je ne connaissais pas la ville. Pendant trois jours, j'ai erré sans dormir et sans manger. J'étais au bord du désespoir quand un agent de police a remarqué que j'étais perdu et il m'a montré où se trouvait le refuge.

Mon histoire…
J'ai vécu dans la rue entre 1988 et 1998, et parfois aussi dans les refuges. J'ai dormi sur des bancs de parc, des boîtes en carton et dans des allées. Ce qui m'a sauvé, pendant que je vivais dans la rue, c'était le Red Roof St. Michael's Mission. Du lundi au vendredi, j'y rencontrais mes copains le matin et j'y mangeais une tartine de beurre d'arachides et un café.

J'étais devenu un «pilleur de poubelles». Les pilleurs de poubelles sont des prédateurs qui ont moins de risques d'être la proie de crimes haineux que les mendiants. Tous les matins, je suivais mon itinéraire et je faisais les poubelles, comme un trappeur qui vérifiait ses pièges.

Je savais aussi comment rester incognito, sans trop attirer l'attention sur moi-même. Par exemple, si tu n'as pas d'argent dans tes poches, tu n'entres pas dans les bâtiments commerciaux. Tu ne peux pas aller chez McDonalds et rester assis pour te reposer.

Le pillage de poubelles était parfois très satisfaisant, je faisais souvent de belles trouvailles. Mes aventures dans la rue étaient débiles, en ce qui concernait les parasites par exemple. Au refuge, nous avions parfois des problèmes de poux. Heureusement qu'il y avait le shampooing Qualada!

La plupart des gens avec lesquels je passais du temps au refuge ne savaient ni lire ni écrire. Tout était relativement sale et toxique. C'était vraiment de la folie.

Ça fait plus de dix ans déjà...
Au début de l'été 1997, je dormais parfois dans un des dortoirs du deuxième étage de la Old Brewery Mission. Parfois je restais chez ma petite amie «Melle E.». Pendant la journée, ma seule occupation était de fouiller les poubelles, dans les rues, les allées et le long des sentiers à Montréal. J'avais une chienne nommée Tiger. C'était un chien de la rue que j'avais apprivoisé durant le Festival du Jazz de 1995. André gardait mon chien lorsque je me rendais au refuge, qui n'acceptait pas les chiens.

Scoop a été mon meilleur ami pendant de nombreuses années et parfois, nous fumions des restes de joints ensemble.

J'aimais marcher dans les rues de Montréal. Je connaissais la plupart des mendiants de vue. Je connaissais le surnom de certains d'eux : Mad Dog Jim Bo, Drew, Conan, Manny, Batman, MacKiver, etc.

Et je connaissais le nom de certains autres : Chang Ho ( Jimmy) et Billy Simms (Billy).
Je me rappelle aussi de Willy (Z-Z-Top) et de Richard Caisse (BoBull). Et bien sûr, je me rappelle de Pierre Trudel.

Willy était un de mes derniers contacts de la rue - William Murray (Willy ou Z-Z-Top).
La dernière fois que je l'ai contacté, c'était en automne 2005. «Sharky a quitté l'île!».

1998 à 1999
La Mission m'a aidé à retourner dans le système, puisque de 1988 à 1998 je n'en faisais pas du tout partie. Pas de revenu, pas d'adresse, pas de pièces d'identité. Au début des années 90, je suis entré dans un centre de réadaptation à la Mission. Mais j'avais la réputation de disparaître. Puis, le 31 décembre 1992, j'ai disparu pendant plus de 4 ans. La période la plus difficile que j'ai connue dans la rue était l'hiver 1993. Au début de l'été 1993, je me suis retrouvé dans la prison de Bordeaux. Plus tard cet été-là, je me suis procuré une chambre à l'Armée du salut (à l'angle de St. Antoine et Guy). Pendant trois ans, j'y ai vécu avec ma petite amie Melle E.

En 1993, j'ai commencé à payer le loyer.

En 1999, j'ai commencé à travailler.

En 2000, ma santé a commencé à se détériorer et l'aide sociale m'aidait à payer mon loyer.

Mais restons encore un peu dans les années 90. En hiver 1998 (l'année de la tempête de glace) je restais au refuge et au printemps et je me suis retrouvé à Camp Chapleau. C'est là que j'ai appris à connaître Willy. Willy avait travaillé au Camp depuis des années. Il travaillait pour Fred. J'ai aussi travaillé pour Fred.

Lorsque Fred a pris sa retraite en 2000, Willy était le dernier de sa génération au Camp.

Finalement, Willy s'est fait attrapper pour possession d'une bouteille sur la propriété du Camp et il s'est fait mettre à la porte. Willy vit maintenant dans les rues de Montréal, faisant ce qu'il a toujours fait : mendier pour de l'alcool.

La dernière fois que j'ai vu Scoop, il avait un nouveau surnom. Les copains avec lesquels il buvait l'appelaient «papa». Autour de Noël 2004, j'ai emmené Scoop dans une taverne et je lui ai offert à boire toute la soirée. À ce moment-là, il vivait dans l'allée derrière la pharmacie. Chaque matin, il y entrait pour aller chercher ses médicaments et pour voler une bouteille d'alcool à friction. Dans l'allée, il mélangeait l'alcool à friction avec du jus d'orange et il se mettait à boire.

Au début de l'hiver 2005, Scoop est mort d'une overdose.

Les drogues et l'alcool, ça tue.

J'ai toujours aimé être sympa avec les cuisiniers. J'aimais beaucoup passer du temps au Camp parce qu'on nous donnait de la bonne nourriture, et il y avait un bon cuisinier, Steve. J'aimais aussi Crystal, Phil et Dwaine au «6400». Je m'entendais aussi très bien avec des vieux types de la Mission, Rudy et compagnie. Aujourd'hui, j'adore faire la cuisine pour moi-même.

Je me rappelle de Rambo. Il préférait mendier sur la rue de la Montagne plutôt que de travailler dans la cuisine de la Mission. Rambo travaillait fort lorsqu'il travaillait, et il était le mendiant le plus propre de Montréal. Il se faisait probablement plus de 100 $ par jour en mendiant.

Oh, et il y avait aussi Jason! Ouais, je me souviens bien de Jason. Il était probablement un des seuls types qui pouvait marcher plus loin que moi sur l'Île de Montréal. Je l'appelais Jason Robocop.

De 2000 à 2005 et à aujourd'hui, après 17 ans
J'habite dans un logement de transition. J'ai une chambre privée, mais je dois partager le reste de la maison avec 40 autres hommes. Nous recevons trois repas par jour et on peut faire son propre linge gratuitement. La maison a trois étages et il y a une télévision à chaque étage.

Au travail à la Maison Roger Beaulieu (2003) - «6400»
Lorsque j'étais à «6400», ma routine était plus ou moins la même. Tous les matins je faisais mon lit, je mangeais mon petit déjeuner et je sortais pour marcher dans la rue de Montréal. Je faisais 100 pas par minute, soit 6000 pas par heure. Je faisais 2000 pas par mile. Je faisais exactement 3 miles par heure. Pour marcher 10 miles, je devais marcher pendant 3 heures et 20 minutes. En moyenne, je marchais de 6 à 7 heures par jour, 360 jours par année. En 17 ans, j'ai dû faire environ 119 340 miles. En marchant.

Je me plaisais bien au «6400». Aujourd'hui, je ne peux plus me permettre de boire à la taverne. Je paie mon loyer, et le reste de mon chèque je le dépense à la nourriture. Et à du savon et des trucs comme ça.

Aujourd'hui, je ne fume plus et je ne bois plus, parce que sinon, je me retrouverais à nouveau dans la rue, en un rien de temps.

Conclusion
Pendant 17 ans j'ai accumulé une grande expérience dans la rue et dans les refuges. Et aujourd'hui, j'aimerais utiliser cette expérience pour trouver un emploi permanent, à temps plein.

Au milieu des années 80, j'étais moniteur de bus et je servais de la soupe et du café aux sans-abri. Durant ces années, j'ai aussi passé du temps à l'hôpital et en prison. Ce sont les seuls dossiers qui montrent que j'étais en vie pendant toutes mes années d'itinérance.

Guy Ricard (dit Sharky)

Date de publication: 
2007
Nouvel emplacement: 
Montreal, Quebec, Canada