Fournir des services aux personnes qui ont connu l’itinérance

L’«Infirmerie» est un programme qui offre vingt lits et ouvre ses portes jour et nuit aux sans-abri et aux personnes au logement inadéquat qui ont une condition médicale grave et qui n’ont nulle part où aller pour récupérer.

Le programme est doté d’infirmiers et d’infirmières, de travailleurs sociaux communautaires, d’une infirmière praticienne, d’un gestionnaire de soins et d’un médecin-conseil. En 1999, beaucoup d’agences de la communauté se sont associées avec des représentants de la ville de Toronto afin de développer un plan qui permettrait de mieux répondre aux besoins des sans-abri. L’itinérance avait connu une grande hausse à cette époque en raison du manque de logements abordables et de coupures de budget. L’Infirmerie fut une des initiatives qui en découla, particulièrement parce que les personnes malades n’avaient nulle part où récupérer. Les refuges forcent souvent les gens à partir le jour, peu des maisons de chambres offrent un accès à des salles de bains, lesquelles ne sont d’ailleurs pas accessibles si vous avez une jambe cassée, et dormir en plein air n’est guère favorable à l’amélioration de la santé.

En 2001, j’ai accepté un emploi au Sherbourne Health Centre, un nouveau centre de santé qui venait de s’ouvrir au centre-ville de Toronto. À l’époque, il n’y avait que dix employés à plein temps qui s’occupaient des services à administrer. L’ouverture en avait été souvent retardée, il a fallu déménager dans de nouveaux locaux, mais c’était malgré tout passionnant d’y travailler, quand tant d’espoir, d’énergie et de passion étaient investis à construire des services de soins de santé pour les collectivités marginalisées, y compris les sans-abri. Le dévouement du personnel à servir ceux qui devaient se heurter à tant d’obstacles pour recevoir des soins à cause de la discrimination et de leur pauvreté était réel, et l’on se concentrait en permanence sur l’élimination de ces obstacles. De dix membres initiaux, l’effectif était passé à plus de 120 personnes après mon départ il y a de cela quelques mois.

L’infirmerie a ouvert ses portes en 2007. C’est un endroit magnifique, avec des couloirs spacieux, une riche palette de couleurs chaudes et vibrantes aux murs et au sol, une salle à manger ensoleillée et éclairée, un ordinateur à la disposition des clients, une salle d’exercice et de l’équipement de réhabilitation, beaucoup de chambres seules, et un personnel phénoménal de gens qualifiés et dévoués. Mais ce qui est encore plus important, est que le personnel a développé un objectif commun et une approche commune aux soins, inclusifs et collaboratifs. Trois valeurs ont été développées collectivement afin de structurer les travaux et les prises de décisions : courage, appartenance et justice sociale. Comme vous pouvez l’imaginer, créer ces valeurs à l’issue d’une réunion et les appliquer sont deux choses très différentes.

Avoir du courage peut vouloir dire prendre la parole et suivre une décision prise par l’équipe ou un client que l’on n’approuve pas toujours. Cela veut dire devoir se frayer un passage dans les eaux troubles du doute ou approuver un plan d’action. Cela veut dire compatir et aider. Cela veut dire trouver l’équilibre et refuser que ces dissensions se transforment en disputes mesquines ou que cette animosité escalade entre un client ou l’équipe. Si un client fume dans sa chambre, refuse de modifier son comportement et doit quitter l’infirmerie, cela ne veut pas dire que la prochaine fois qu’il sera malade et aura besoin de notre aide, qu’il ne trouvera pas un endroit où il devra accepter les règlements. Il faut être courageux pour donner une seconde chance à quelqu’un, ne pas le punir, même s’il vous a blessé.

Il y a de plus en plus de preuves à l’appui démontrant que les gens qui ont l’impression de ne pas appartenir à leur communauté présentent plus de problèmes de santé, physiques et mentaux. L’appartenance peut se définir de maintes façons, cependant, ma définition favorite est celle d’un «bonheur ressenti au sein d’une relation sûre.» Et comment y parvenons-nous? Je crois que la façon la plus aisée se trouve dans les paroles qu’une mère adressa à une de mes collègues lorsque celle-ci se maria : l’amour est dans les détails. Ce qui signifie apporter des soins sensibles et respectueux. Par exemple, poser des questions sans détours à quelqu’un au sujet de ses problèmes de drogues, sans jugements de valeur, tout en restant sensible à la façon dont nous l’aiderons à prendre soin de sa santé pendant qu’il/elle se drogue, sans arrière-pensées. C’est aussi réaliser l’importance de préparer une tasse de thé pour quelqu’un qui n’a pas le moral. C’est travailler avec chaque personne de l’infirmerie pour développer et mettre au point un plan fiable quand ils nous quittent, y compris leur assigner une personne qui leur trouvera un logement, complétera les formulaires de demande de prestation d’invalidité, trouvera des prestataires de soins de santé et les acheminera vers une variété de programmes de soutiens sociaux. Un comité consultatif avec des anciens clients a également été créé pour veiller à ce que le programme favorise un sens d’appartenance et demeure chaleureux, accueillant et réceptif aux divers groupes de clients.

La justice sociale fait partie intégrante des différents aspects du programme. Bien qu’administrer un programme 24 heures sur 24 rende quelques fois difficile la concentration sur les principes de justice sociale, ceux-ci représentent le fondement essentiel de notre travail. Sinon, nous pourrions nous concentrer sur les luttes individuelles et les obstacles que les gens doivent affronter et perdre de vue l’importance d’un changement systémique. Il est essentiel de maintenir une direction et un objectif de travail et d’identifier les façons d’améliorer les services, de travailler en collaboration et de se baser sur les initiatives et les réseaux qui réduiront et élimineront l’itinérance. C’est un élément critique de notre œuvre qui restera toujours une lutte continue : l’équilibre entre les opérations et le travail développemental.

Maintenant que j’ai quitté l’Infirmerie et que j’ai un nouvel emploi, lorsque je contemple le passé, cela me frappe de voir à quel point ces valeurs ont défini le programme, et à quel point elles sont encore intactes. Les réactions des clients ont toujours été positives, beaucoup d’entre eux sont revenus nous rendre visite pour nous dire qu’ils y avaient trouvé une oasis, un endroit où ils pouvaient récupérer, mais plus essentiellement, un lieu où ils se sentaient valorisés et respectés. Beaucoup d’entre eux sont maintenant logés et disent que leur vie a changé après leur séjour à l’Infirmerie. Voilà mes plus beaux souvenirs, les merveilleuses cartes et messages qui ont été envoyés à l’équipe. Je me dis souvent que la clé d’une vie fructueuse est de savoir combien nous sommes prêts à risquer, à aller au devant de ceux qui ont besoin de nous et à s’entraider, même si nos opinions, nos expériences et les occasions qui se présentent diffèrent. À mon avis, en tant que prestataires de services, nous nous devons d’aider la personne derrière nous, celle qui essaie toujours de gravir les échelons et qui essaie de nous tendre la main. C’est la seule façon de provoquer le changement. Une main secourable à la fois.

Date de publication: 
2010