Comment une «bonne fille» peut-elle se retrouver sans domicile?

L'histoire d'une jeune fille de classe moyenne provenant d'une petite ville : entre la pauvreté et la richesse… Je suis impliquée dans le projet du Rond-point de l'itinérance, et je peux donc offrir un peu d'aide en racontant mon histoire. Celle-ci a deux facettes : celle d'une adolescente provenant d'une petite ville, et qui s'est fait jeter dehors, et celle d'une femme mariée à un consommateur de substances, et qui a demandé à son mari de partir, à deux reprises.

À la fin de l'adolescence, bien que j'aie été élevée avec un bon sens des valeurs, mes parents m'ont mise à la porte. Même si j'avais l'attitude typique de l'adolescente qui «voulait sa liberté», j'était tout de même une «bonne fille». Je ne fumais pas, je ne buvais pas, je ne prenais pas de drogues, je n'avais pas de relations sexuelles et je respectais la loi. J'avais de très bonnes notes à l'école, j'avais un travail à temps partiel, je m'occupais de mes frères et sœurs après l'école et j'aidais à la maison pendant que mes parents faisaient la navette entre la maison et leur travail.

Alors pourquoi me suis-je fait jeter dehors lorsque j'avais le plus besoin de mes parents? Lorsque j'avais peur du mystère de la vie universitaire et que je me demandais si j'allais avoir assez d'argent? Aujourd'hui, quand je revois cette époque à travers les yeux de mes parents, je crois que quelques facteurs ont joué un grand rôle : ma mère et moi étions trop semblables (notre relation était poussée à la limite et ça s'est aggravé lorsque je suis devenue une adolescente); mes parents avaient des problèmes maritaux qui étaient exacerbés par la maladie (fibromyalgie et syndrome de stress aigu) et des troubles mentaux (anxiété et dépression); mes parents avaient de grosses dettes; nous étions sur le point de déménager; mes parents travaillaient tous les deux à temps plein et faisaient la navette; et, il leur manquait des ressources parentales et des modèles de rôle.

Alors qu'est-ce qui est arrivé exactement? Durant l'année où je devais graduer, la fin de semaine avant que nous devions déménager, j'étais en train d'étudier pour mon examen final semestriel. Mes parents étaient dépassés par le déménagement. Mon père s'est rué dans ma chambre en colère et m'a ordonné de venir emballer des boîtes. Je lui ai expliqué que ma mère m'avait dit que je pouvais étudier et que j'avais déjà emballé durant toute la semaine. Je devais obtenir des A si je voulais être acceptée à l'université, quelque chose que mes parents voulaient pour moi depuis que j'étais petite. Il m'a répondu que j'étais insolente et m'a ordonné de quitter la maison d'ici 18 heures. J'étais choquée. Je me sentais trahie. La colère, la peur, la frustration, la tristesse et la rancune me bouleversaient. Je me sentais comme si je n'avais rien fait de mal. Certainement rien d'assez grave pour que cela justifie qu'il me jette dehors. Je trouvais plutôt que je me comportais bien, que j'étais en train d'être responsable.

Quand j'ai appelé les leaders de mon groupe de jeunesse pour leur dire que je ne pouvais pas assister à la réunion ce soir-là, j'ai essayé de ne pas pleurer, mais je n'ai pas pu m'empêcher et je leur ai tout raconté. Ils ont offert de m'aider, mais seulement en tant que dernier recours.

Pendant que j'emballais mes affaires, mon père a essayé de me dissuader de partir, me disant que je finirais par prendre des drogues en l'espace d'une semaine. Je l'ai ignoré et je suis partie. Ma mère a essayé de me dissuader aussi. Elle a appelé la mère de mon amie pour lui dire de ne pas m'héberger, mais j'ai réussi à rester chez une autre amie. Le jour suivant, je suis allée à l'école comme d'habitude et je suis allée voir le conseiller scolaire à l'heure du déjeuner. J'ai été très choquée d'apprendre que le conseiller ne pouvait pas m'aider et j'ai dû appeler le leader de mon groupe de jeunesse. Nous avons fait des arrangements pour que je puisse rester temporairement. Ils ont fait de leur mieux pour m'héberger dans leur sous-sol sur un lit de camp, avec une table plateau, un drap d'intimité et des toilettes. J'étais vraiment reconnaissante et je voulais absolument payer pour leurs services. Je suis restée là pendant 3 mois.

Puis, un soir, au travail, la mère d'une autre amie m'a annoncé que sa fille quittait la maison et elle m'a offert sa chambre. Après avoir déménagé chez elle, j'ai travaillé et j'ai étudié si fort que j'ai reçu mon diplôme avec distinction et j'ai été acceptée à l'université! Durant l'été, je me suis réconciliée avec mes parents, j'ai pris un second emploi et j'ai économisé la moitié de mes dépenses universitaires. J'espérait être acceptée par RAFEA pour m'aider à payer l'autre moitié.

Une fois emménagée en résidence, j'ai commencé mes études universitaires et j'ai eu de bons résultats. Tout allait bien jusqu'à ce que j'entende la mauvaise nouvelle de RAFEA. REFUSÉE!!! Mon appel fut également refusé, car j'avais raté le statut d'étudiant indépendant d'un mois. J'avais besoin d'informations sur le revenu de mes parents, et j'ai été disqualifiée. Je me suis retirée avant la date d'échéance pour éviter des pénalités académiques.

C'est alors que j'ai souffert ma première dépression. Je dormais toute la journée, je passais mes soirées à jouer aux cartes dans les cafés, jusqu'à ce qu'un jour, dans un moment de désespoir total, j'ai essayé de me suicider en buvant une grande bouteille de médicament pour rhumes. Sans docteur et sans argent, je n'avais pas les moyens de me procurer les pilules qui auraient accompli la tâche. De toute façon, je ne crois pas que je voulais vraiment mourir; je voulais juste que ma peine s'en aille. Grâce aux paroles d'adieu de mon père, je n'ai jamais touché aux drogues illicites, ne voulant pas lui donner cette satisfaction. Ayant été endommagée émotionnellement parce que mes parents m'avaient jetée dehors, métaphoriquement, j'ai une fois de plus été expulsée, mais cette fois de l'université.

J'ai appelé la maison et mes parents m'ont fait la leçon que je redoutais. Le prix à payer pour avoir une maison je suppose. Ils m'ont dit que je pourrai rester pendant six mois, tant que je travaillais à temps plein, faisais des corvées domestiques et commençais à chercher un appartement. Après avoir prié mes parents d'accepter d'être les cosignataires de mon contrat de location, j'ai enfin obtenu mon premier appartement.

Tout allait relativement bien, jusqu'à ce que la récession frappe. Les affaires du restaurant auquel je travaillais ont baissé et mon revenu aussi, de moitié, de telle sorte que tout mon revenu était utilisé pour le loyer et les commodités. Manger était un luxe. Je mangeais mon déjeuner au travail et du beurre d'arachides avec des craquelins pour le dîner, car je n'avais que 10 $ sur mon compte pendant environ trois mois. J'ai fini par trouver un meilleur emploi, et des colocataires qui partageaient mes dépenses. Quatre déménagements, cinq emplois et cinq années plus tard, j'y suis enfin arrivée! J'ai trouvé un travail à Toronto et j'y ai déménagé. Tandis que je me concentrais sur l'amélioration ma situation, j'ai rencontré mon mari.

Nous nous sommes mariés et je m'appliquais à développer la fondation financière de notre famille. Nous avons eu une fille (et nous avons ouvert un REEE pour ses études universitaires), et nous avons acheté notre première maison. À cette époque, la valeur de mes actions était si élevée que j'ai même été millionnaire (sur papier!) pendant un jour. C'était un sentiment superbe! J'avais réussi!

Ma vie était très belle jusqu'à ce que quelques crises me tombent dessus : dépression post-partum et anxiété, à deux reprises; effondrement du marché boursier; et investissements épuisés (paiement des impôts sur l'encaisse pour acheter notre maison). Puis, j'ai reçu un préavis de travail de 18 mois (les effectifs étaient ramenés à la taille idéale). Je vivais ma quatrième dépression grave et ayant très peur de redevenir sans-abri (avec des enfants), je voulais vendre la maison, et en racheter une plus petite dans une petite ville où le coût de la vie était moins cher. Mais mon mari n'aimait pas l'idée. Mon niveau de stress augmentait chaque jour au fur et à mesure que mon dernier jour de travail approchait. Réalisant que mon mari ne comprenait pas l'urgence de notre situation, j'ai commencé à chercher des maisons toute seule, tout en cherchant un autre emploi.

Une semaine après la fin de mon emploi, désespérée, j'ai accepté un emploi très stressant dans le domaine des ventes pour la moitié de mon salaire précédent. Nos finances étaient très serrées et notre mariage souffrait. Le business de mon mari a ralenti et nous avons commencé à emprunter de l'argent par le biais d'une ligne de crédit. Quelques mois plus tard, j'ai obtenu un contrat de huit mois pour plus d'argent, mais ça ne suffisait toujours pas. Plutôt que d'attendre trop longtemps et de risquer la forclusion, j'ai mis la maison en vente sans l'appui de mon mari. Puis il m'a annoncé qu'il prenait de la cocaïne depuis plus d'un an!

Pendant qu'il suivait un programme de counselling en matière de toxicomanie, j'ai trouvé un domicile qui nous permettait de ne plus avoir de dettes ni d'hypothèque. Sans savoir quels étaient mes droits, la banque a fait pression sur moi pour que j'accepte une énorme ligne de crédit dont je n'avais pas besoin. Par la suite, mon mari a commencé à me «travailler» pour que je lui donne cet argent pour qu'il puisse payer ses dettes. J'ai accepté à condition qu'il ferme ses comptes, mais il m'a menti et les épuisa à nouveau.

Mon contrat de travail prit fin deux mois après notre déménagement. J'ai commencé la nouvelle année au chômage. Toutefois, je devais rester à la maison pour aider les enfants à passer à travers des problèmes de transition découlant du déménagement, et pour aider leur «papa malade». L'assurance-emploi aidait un peu, mais étant donné que mon mari dépensait tout son revenu aux drogues, nous devions dépendre de la ligne de crédit – une fois de plus! Mon mari est progressivement devenu méchant et abusif. Craignant que la sécurité de mes enfants était en jeu, et avec l'aide de ma famille, nous sommes intervenus.

Mon mari est allé à un centre de désintoxication, puis chez sa sœur en attendant d'entrer au centre de réadaptation. Il était clean pendant les trois mois où il est resté chez elle, mais a perdu le contrôle l'instant même où elle est partie en vacances, seulement une semaine avant d'entrer au centre de réadaptation. Heureusement, il était clean quand il y est arrivé.

Il a suivi le programme et semblait aller mieux quand nous parlions au téléphone. Naïve que j'étais, je croyais qu'il allait être «guéri» quand il sortirait et que tout irait mieux, puisqu'il m'avait promis qu'une fois de retour à la maison, il n'utiliserait plus de drogues, il irait aux réunions de NA/AA et il deviendrait sincère et responsable sous peine de devoir quitter la maison. Deux jours après son retour, il rompit sa promesse et consomma des drogues. Je lui ai apporté sa valise et je lui ai conseillé d'appeler son commanditaire. Je lui ai dit qu'il devait rester clean pendant six mois et me prouver qu'il pouvait honorer notre entente et vivre seul, avant que je considère de l'accepter à nouveau dans mon domicile. Je l'ai embrassé et il est parti. J'ai pleuré pendant tout le chemin du retour.

Son frère l'hébergea, mais ce dernier se fatigua vite de ses mensonges et de sa consommation de drogues et il le jeta dehors. Il resta chez des «amis» pendant un certain temps, et on l'encouragea à appeler les foyers d'accueil locaux.

Nous ne savions pas par où commencer. J'ai appelé Télésanté Canada. Après plusieurs appels, j'ai finalement obtenu le numéro du foyer et je l'ai donné à mon mari. Après quelques essais, il a finalement réussi à entrer, y passa les cinq semaines maximales, puis il trouva une chambre à louer.

Il est resté clean pendant six mois, mais il était à haut risque de rechute et il n'était pas prêt à faire face aux responsabilités de la maison. Refusant de refaire passer mes enfants à travers le même enfer, et étant donné que nous ne faisions que commencer à nous en remettre, je lui ai demandé d'attendre un peu plus longtemps. Malheureusement cela lui a fait perdre le contrôle et il s'est fait expulser de sa chambre. Il était à son plus bas.

N'ayant pas de travail, il était incapable de payer ses dépenses, et surtout pas en état de subvenir à nos besoins. Son autre sœur l'a hébergé. Il est resté clean, a commencé à faire preuve de plus de responsabilité et a amélioré ses compétences paternelles. Nous commencions tous à récupérer. Nous avons fait appel à des services de consultation matrimoniale, pris de nouveaux emplois et il est revenu à la maison. La vie était belle cet été!

L'automne était une toute autre histoire. Nous risquons à nouveau de perdre notre maison : notre ligne de crédit est presque épuisée, mon mari et moi n'aurons plus d'emplois dans quelques mois et nous n'avons pas encore d'emploi de remplacement. Ceci dit, nous sommes forts du soutien de la famille, de dynamisme, de résistance, d'un sens moral, et d'une éthique de travail qui veut que nous atteignions nos objectifs tout en préservant notre intégrité et notre dignité. Nous sommes enthousiastes et assez ingénieux pour trouver ce qu'il nous faut pour survivre. Nous gardons les pieds sur terre en entretenant des routines quotidiennes et en vivant au jour le jour. Nous n'accepterons rien de moins que ce dont nous avons besoin et ce que nous désirons. Nous savons que demander de l'aide est le sommet de la force, et la prière nous aide à garder la foi, l'espérance et l'amour. «La plus grande d'elles est l'amour»1.

J'espère que mon histoire aide à éclaircir les faits suivants : les enfants élevés avec de bonnes valeurs, amplement de nourriture, un accès à l'éducation, un foyer adéquat et assez de vêtements, peuvent tout de même devenir des sans-abri; les familles de classe moyenne peuvent être pauvres en raison des dettes; l'itinérance se passe aussi dans les petites villes, ou les ressources sont moindres ou non existantes; les personnes qui font face à l'itinérance ne savent pas forcément par où commencer pour trouver de l'aide (nous devons éduquer et communiquer davantage); les gens doivent voir les autres croire en eux avant qu'ils puissent croire en eux-mêmes afin d'atteindre leurs buts; de l'aide parentale et maritale doit être facilement accessible afin d'armer les couples des outils de survie dont ils ont besoin en temps de crise, et pour élever leurs enfants; les maladies mentales et l'accoutumance sont plus courantes qu'on ne croit; l'utilisation de drogues illicites peut arriver au «papa» de n'importe qui; la dépression post-partum a des répercussions générationnelles; l'aide financière à l'éducation du gouvernement doit être appliquée de manière holistique pour chaque demandeur; et, l'itinérance peut arriver plus d'une fois en une vie.

1Sainte Bible, Lettre de St. Paul aux Corinthiens, 1-13.

Date de publication: 
2007
Nouvel emplacement: 
Ontario, Canada