À une certaine époque, ma vie était presque un conte de fée

À moins de l’avoir vécu soi-même, il est impossible de comprendre ce que cela signifie de regarder ses trois petites filles droit dans leurs beaux yeux, et de devoir leur dire que leur maman ne reviendra jamais à la maison, et qu’elle vit maintenant avec les anges. À une certaine époque, ma vie était presque un conte de fée. Mais tout peut changer en un clin d’œil. Tout a commencé un soir que je n’oublierai jamais, qui en un sens représentait le début du déclin de ma vie.

Ma conjointe de fait devint suicidaire sans qu’il y ait vraiment de raison apparente. Comme on dit, tout vient en trois exemplaires. Elle essaya de se suicider trois fois et nos vies furent changées à tout jamais. Éventuellement, son état s’améliora un peu et elle arrêta ses tentatives de suicide. Mais à ce stade, j’avais été tellement traumatisé que je n’osais plus aller où que ce soit de peur de la laisser seule.

Cette frayeur ne me permettait aucune liberté. Elle contrôlait où j’allais, pendant combien de temps, et si je pouvais prendre un emploi ou pas. Je travaillais dans l’aménagement paysager et j’en étais arrivé à un point où je ne faisais que m’inquiéter, sans relâche, jour après jour, ayant peur que sa prochaine tentative de suicide arrive. Dès que j’entendais des sirènes, je devenais très anxieux, au point où je me sentais malade. Je m’inquiétais tellement que je devais rentrer à la maison. Vous pouvez donc imaginer pourquoi j’avais du mal à garder un emploi pendant longtemps.

À la longue, j’ai arrêté de travailler pour rester à la maison avec elle et je touchais les allocations de Ontario au travail. Si vous avez déjà reçu l’aide sociale, vous savez que le budget est très maigre. La vie était devenue très monotone et tous les jours étaient les mêmes. Mais nous nous aimions et nous étions une famille heureuse. De plus, comme je l’ai mentionné plus haut, elle allait mieux.

Tout allait relativement bien jusqu’à ce que la tragédie la plus atroce qui soit nous frappe avec tant de force que je ne m’en suis toujours pas remis. L’amour de ma vie, mon âme sœur, est morte si soudainement et sans aucun avertissement, que ça m’a bouleversé à un point que je n’aurai jamais cru possible. À moins de l’avoir vécu soi-même, il est impossible de comprendre ce que cela signifie de regarder ses trois petites filles droit dans leurs beaux yeux, et de devoir leur dire que leur maman ne reviendra jamais à la maison, et qu’elle vit maintenant avec les anges.

Six mois plus tard, nous avons quitté notre maison. C’était tout simplement trop dur. Nous avons déménagé dans le sous-sol de ma sœur pour être près de la famille et pour que je puisse enfin recommencer à travailler. Je ne veux pas manquer de respect à ma femme que j’aime énormément, mais comme vous pouvez l’imaginer, après avoir vécu des années en ayant peur et en m’inquiétant jour et nuit, je pouvais enfin essayer de recommencer à travailler. Pour la première fois depuis des années, je ne devais plus vivre ma peur et mes inquiétudes constantes.

J’ai recommencé à travailler, mais peu après ma famille m’a annoncé qu’elle comptait déménager. J’avais une médiocre cote de crédit, et pour la première fois de ma vie, je n’ai pas réussi à trouver un logement. Je me suis retrouvé dans un refuge pour familles. J’étais en train de vivre des choses que je croyais impossibles, et j’ai dû adopter une toute nouvelle façon de penser : il s’agissait maintenant de SURVIE, pour moi-même, mais surtout pour mes filles.

J’étais maman et papa à la fois. J’avais deux petites filles (l’aînée n’était pas ma fille biologique et est allée vivre avec son père) qui devaient s’adapter à l’absence de leur mère et s’habituer à un nouvel endroit où vivre. J’étais terrifié et je ne savais pas à quoi m’attendre, car j’étais très intimidé par l’idée de vivre dans un refuge. Mais une fois inscrits et lorsque quelques jours s’étaient passés, nous nous sommes sentis un peu plus à l’aise. Pour une fois, j’étais entouré de gens qui semblaient concernés et qui pouvaient m’aider. Ils me donnaient un sentiment de sécurité, un endroit convenable où loger, des repas sains et ils ne demandaient pas grand chose en retour. J’y ressentais un sentiment de sécurité pendant que je cherchais un nouveau logis pour ma famille. Si ces refuges n’existaient pas, un homme avec des enfants dans ma situation n’aurait nulle par où aller et se retrouverait sur le pavé. Et il n’y a rien de pire que de se sentir comme un grand fardeau.

Environ un an avant la mort de la maman des filles, cette dernière avait commencé à prendre un médicament nommé Percocet. Il s’agit d’un médicament antidouleur très fort et extrêmement toxicomanogène, un opiacé. Après un certain temps, j’ai commencé à être curieux au sujet de ces pilules qui enlèvent la douleur. J’allais tellement mal lorsqu’elle est décédée, que j’ai commencé à prendre ces pilules comme des bonbons – entre 35 à 40 par jour. Ces pilules étaient devenues un problème majeur dans ma vie, mais à ce jour, je crois fermement que si je ne les avais pas prises, je ne serais sans doute pas ici aujourd’hui pour en parler. Elles faisaient taire la douleur. Cependant, j’en suis arrivé à un point où je savais qu’il fallait que je fasse quelque chose. Et vite. Un ami a fini par me parler de la clinique 528, une clinique de méthadone. Je les ai appelés tout de suite. Heureusement pour moi, ils n’avaient pas beaucoup de rendez-vous et j’ai réussi à les voir dans la semaine qui suivait. C’était exactement ce qu’il me fallait, car j’étais désespéré. Je prends toujours de la méthadone, ce qui a changé ma vie. Je ne pense plus constamment à ma prochaine pilule et je ne dépense plus tout l’argent que j’ai pour les acheter (ces pilules coûtent 5 $ l’unité dans la rue).

J’ai trouvé un logement public lorsque j’ai quitté le refuge pour la première fois. Tout allait bien pendant un certain temps, puis tout a recommencé à s’écrouler, très vite. J’ai commencé à avoir des problèmes sociaux avec certaines personnes et à fréquenter le mauvais cercle d’amis, ce qui mettait des bâtons dans mes roues. Je me retrouvais dans des situations dont je ne voulais pas me mêler, et avant que je puisse prendre conscience de ce qui m’arrivait, je n’étais plus capable de payer mon loyer et je devais retourner au refuge.

J’ai toujours eu de bonnes intentions, mais en raison de mon accoutumance, il est parfois facile de m’influencer. J’ai du mal à refuser. Ainsi, après avoir passé du temps à parler en permanence aux employés du refuge et aux travailleurs sociaux, je me suis rendu compte qu’il ne s’agissait pas seulement de trouver un logement et d’emménager. Je devais faire bien plus. J’ai aussi commencé à réaliser que tout cela me déprimait. Ni moi ni les enfants n’avaient fait le travail de deuil après la mort de leur mère.

Un bon point de départ serait de mieux choisir les gens avec qui je m’associe. Je devais éviter les mauvaises influences. Les querelles constantes et le drame qui s’y rattachent commençaient à me déprimer. La consultation aux endeuillés serait probablement aussi un bon point de départ. C’est bien plus difficile qu’on croit de ne plus voir les personnes avec qui on s’associe tous les jours. Mais je savais que si je voulais faire du progrès, ça devait être fait. On peut essayer de prétendre que les choses s’améliorent, mais à moins qu’on décide franchement d’y remédier, rien ne changera. Et c’est mon but. Aujourd’hui, je réside encore dans un refuge car je n’ai pas pu payer mon loyer. Mon appartement était infesté de ratons laveurs qui avaient mâché les fils électriques, et j’ai refusé de payer mon loyer en pensant que le propriétaire était en tort. J’ai appris que ce n’était pas le cas.

Tout ce que je sais, c’est que c’est la dernière fois, la toute dernière fois. Je pense vraiment et sincèrement que je réalise enfin à quel point tout cela a causé de la peine et de la tristesse à mes filles, et je peux vous assurer qu’elles ne devront plus jamais revivre tout ça. J’ai aussi réalisé que ma santé est importante pour que je puisse être un papa en santé et bienveillant. Je dois trouver un logement où il y aura toujours à manger. Notre maison doit être stable et les enfants doivent recevoir une éducation convenable, sans absences. Je crois qu’il s’agit d’une étape très importante pour que je puisse retrouver ma confiance en moi. J’ai extrêmement honte, car tous les jours je dois vivre avec la certitude que je ne suis pas le père que je pourrais facilement être.

Je dois changer pour que nous retrouvions des jours meilleurs et plus heureux. En tenant compte des dernières années, je ne vois pas une seule raison pour laquelle nous ne pourrions pas avoir une vie merveilleuse. Il est grand temps pour des changements positifs, alors qu’est-ce que j’attends?

Date de publication: 
2007
Nouvel emplacement: 
Ontario, Canada