À 28 ans, j’ai reçu le diagnostique de schizophrénie paranoïde

À 28 ans, j’ai reçu le diagnostique de schizophrénie paranoïde. J’avais un enfant de dix-huit mois et un mode de vie relativement stable.» Je m’appelle Emily Fox et j’aimerais vous parler de ce que cela signifie d’être sans abri.

Les gens ont tendance à croire que lorsqu’on n’a plus rien, il suffit de remplacer ce qu’on a perdu et de reconstruire sa vie. Si seulement l’itinérance était si facile à résoudre. Si on pouvait assurer qu’une personne serait en mesure de prospérer si on lui donnait un domicile et un revenu, on viendrait vite à bout de l’itinérance.

Malheureusement, l’itinérance est bien plus compliquée que ça.

À 28 ans, j’ai reçu le diagnostique de schizophrénie paranoïde. À ce moment-là, j’avais un enfant de dix-huit mois et un mode de vie relativement stable. Mon mari possédait un emploi bien payant et nous avions notre propre maison. Nous étions un jeune couple typique des années 1980.

Quand j’ai compris ce que mon diagnostique représentait, il était trop tard et ma relation avec mon mari était déjà brisée. Mon pronostique était sombre – folie chronique et incurable. Même si de nos jours on tente de présenter ce diagnostique sous un aspect moins négatif, le fait demeure que la schizophrénie paranoïde est une maladie qui n’est pas facilement acceptée par ceux qui vous aiment.

Curieusement, mon mari n’a pas exigé la garde de notre fils lorsque nous avons divorcé. À cette époque de ma vie, Ryan était la seule chose qui me poussait à continuer. Grâce à mon allocation familiale, j’avais un appartement à deux chambres, mais il ne me restait que 100 $ après avoir payé mon loyer. Les médicaments que je devais prendre coûtaient plus cher que le revenu que je touchais, mais heureusement, l’allocation familiale que je recevais comprenait aussi une carte de paiement de médicaments.

Ma schizophrénie me faisait penser que c’était tout ce que je méritais dans la vie. Au début, j’étais en colère et je me battais très fort pour ne pas croire que j’étais destinée à une vie de pauvreté et de désespoir. Cependant, après que deux années se soient écoulées, j’ai réalisé que je ne devais pas m’attendre à plus. Je lisais tout ce que je trouvais sur ma maladie, et tout portait à croire que ma vie serait à jamais troublée par la dépression, l’anxiété et des luttes continuelles.

Une fois ce fait accepté, j’ai réalisé que je n’avais plus rien à perdre. J’avais déjà tout perdu. Pendant très longtemps, je me contentais d’arriver au bout de mes journées. Le système psychiatrique détruisait atrocement l’âme. Étant donné que personne ne s’attendait à ce que je fasse quoi que ce soit de valable de ma vie, on me dispensait des routines quotidiennes de la société «normale». J’en étais arrivée à voir la moindre petite réalisation comme un miracle. Nettoyer la maison était une raison pour faire la fête! Passer une petite heure sans les inquiétudes qui accablent la plupart des patients atteints de maladies mentales était une merveille inattendue. Puisque je n’avais pas à me soucier de délais ni d’engagements, et que je vivais pour le moment présent, je me suis orientée dans une direction différente des gens qui essaient désespérément de faire partie du groupe.

Mais j’avais un fils et je ne voulais pas qu’il souffre parce que je n’étais pas bien. J’avais peur qu’il soit maltraité à l’école si on apprenait que sa mère était touchée d’une maladie mentale. Ce n’était pas la bonne motivation pour décider de rebâtir ma vie, mais c’était la seule motivation à laquelle je pouvais m’accrocher.

J’ai déménagé dans une autre ville où les gens ne savaient pas que j’étais atteinte de schizophrénie. J’ai trouvé un emploi et j’ai recommencé ma vie en «faisant semblant» d’être normale. Je suis bien plus mûre maintenant et j’ose penser que je suis plus sage, et je réalise que prétendre d’être normale est sans doute le mieux que la plupart d’entre nous schizophrènes puissent faire. Quoi qu’il en soit, j’ai choisi de faire ces choses normales que la société nous dicte de faire pour atteindre le bonheur et une vie qui vaut quelque chose. J’ai fini par acheter une maison, j’allais au boulot tous les jours et je vivais pour les vacances et les fins de semaine. J’ai même contribué à mon régime de retraite, bien que je savais que les médicaments que je devais prendre ne me permettraient sans doute jamais d’atteindre l’âge de la retraite.

Je n’arrivais pas à surmonter mon expérience avec l’aliénation mentale. La psychose est tel un voyage dans une toute autre dimension, et même si les médicaments étouffent les sensations et les émotions, ils n’éliminent pas entièrement les souvenirs. Il faudrait probablement une ou deux séances d’électrochocs pour éliminer ces souvenirs. Ce n’était pas la psychose qui me hantait. C’était le traitement que j’avais reçu qui me laissait dans un état de terreur constant.

Puis j’ai commencé à réfléchir à quel point ma vie était ennuyante. Ce qui se passait dans ma vie quotidienne était tellement prévisible, et la conscience que le lendemain serait parfaitement identique au jour précédent m’a poussée à prendre une décision : il fallait que je change quelque chose au système. Je me sentais comme si je gâchais la chose la plus précieuse que je possédais : le don de la vie. Je pensais rater toutes les possibilités de réaliser quelque chose de valable dans ma vie.

J’ai commencé à faire des discours sur ce que ça signifie de recevoir des soins psychiatriques en Ontario. Je voulais mettre l’accent sur la façon d’améliorer le système. On m’a offert du travail – la plupart des contrats – puis un travail a suivi l’autre. J’étais très occupée pendant un certain temps. Le seul problème était que les contrats n’offraient pas d’assurance-médicament ou d’assurance-soins dentaires. Mes médicaments me coûtaient autant que toutes mes autres dépenses mensuelles. Tant que j’avais du travail, je ne m’inquiétais pas trop du fait que je ne mettais pas d’argent de côté. Je crois bien que beaucoup d’entre nous vivent de cette façon. Nous travaillons de semaine en semaine et nous ne pensons jamais à ce qui se passerait si on perdait son emploi.

Ainsi, une fois les contrats terminés, je n’étais absolument pas préparée à la rapidité avec laquelle tout ce que j’avais accompli s’est écroulé. J’ai été obligée d’hypothéquer ma maison. Dès que je réglais un problème, un autre se présentait à la place. Je vivais avec la peur constante que mon fils allait souffrir. Étant donné que mes médicaments représentaient ma plus grosse dépense, j’ai arrêté de les prendre. Je gagnais du temps. Je m’étais promis que dès que je retrouvais un travail, je recommencerais à prendre mes médicaments et à vivre normalement.

Dans mon cas, étant donné que j’avais travaillé pendant de nombreuses années après avoir reçu un diagnostique de maladie mentale, je n’ai pas été capable d’obtenir un emploi que m’aurait permis de recevoir une carte de paiement de médicaments. L’assistance sociale générale n’était pas une option puisque mon ancien mari pouvait payer une allocation alimentaire pour mon fils; le soutien aux personnes handicapées de l’Ontario ne l’était pas non plus, car certaines personnes trouvaient louche que j’aie continué à travailler après mon diagnostique. Le fait que j’avais fait une demande d’allocations familiales par le passé me rendait suspecte aux yeux des autres. À l’époque, toutes les femmes qui choisissaient de rester à la maison pour s’occuper de leurs jeunes enfants étaient vues comme des criminelles qui voulaient profiter du système. Je n’ai honnêtement jamais essayé de profiter du système, mais il me fallait absolument une carte de paiement de médicaments.

Étonnement, la Société d’aide à l’enfance a été le seul organisme qui a bien voulu m’écouter. Elle a exigé que je prenne les médicaments qui m’avaient été prescrits dix ans auparavant, avant que je les contacte. Où étaient ces gens durant toutes ces années où j’avais eu besoin d’eux? Selon eux, un parent atteint de schizophrénie qui ne prenait pas ses médicaments représentait un risque. Ils m’ont écoutée avec enthousiasme, mais n’étaient pas prêts à comprendre pourquoi je ne pouvais pas me permettre mes médicaments. À mon avis, la Société d’aide à l’enfance souscrit à la même propagande à laquelle je croyais avant de me retrouver dans la rue.

Lorsqu’ils m’ont pris mon fils, je dois admettre que j’avais perdu l’envie de vivre. J’aurais dû être en pleine recherche d’emploi. Si j’avais eu la moindre motivation de me relancer dans la vie, j’aurais sans doute pu sauvegarder certaines de mes possessions et éviter de tout perdre. Mais j’avais presque quarante ans (ce qui n’était bien sûr pas vraiment une excuse). J’avais tout perdu à l’âge de vingt-huit ans et j’ai été obligée de reconstruire ma vie avec très peu de chances de réussir. Je savais qu’il me fallait une dose phénoménale de détermination et de courage pour me recréer une existence, même des plus modestes. Je n’avais tout simplement plus les capacités nécessaires pour relever un tel défi.

Je n’ai fait aucun progrès pendant un mois ou deux. Je me suis exténuée en essayant de trouver un plan pour continuer à vivre. Je n’ai pas réussi. J’ai réalisé quel serait mon sort bien avant que je me retrouve dans la rue. J’avais quarante ans et je n’avais pas d’habiletés particulières. Chaque jour j’accumulais des dettes. Et mon fils, ma raison d’être, n’était plus là. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser à quel point la société était injuste de séparer un enfant de douze 12 ans de sa mère et de détruire tout ce qu’il avait connu jusque-là.

La première fois qu’on m’a forcé de me séparer de mon fils, il avait dix-huit mois et j’avais été hospitalisée. J’ai dû rentrer et sortir des hôpitaux des années durant. Je me rappelle à quel point c’était difficile pour lui. Bien qu’il ait habité avec mes parents pendant ces temps difficiles, il avait tous les symptômes physiques et émotionnels d’un enfant abandonné. Pendant toute son enfance, j’étais restée extrêmement consciente du fait que je devais être présente dans sa vie; je voulais à tout prix éviter qu’il pense qu’on pouvait l’oublier et qu’on s’attendait tout simplement à ce qu’il se remette après avoir tout perdu. Lorsque je pensais à lui, enfermée dans un hôpital, l’injustice de notre situation me remplissait de colère. Je crois que c’est cette colère qui m’a sortie de l’hôpital. La colère a parfois un rôle positif.

Mais il s’agissait de la deuxième fois qu’on m’enlevait mon fils. Et je n’étais même plus capable de ressentir de la colère. J’avais profondément honte et j’étais accablée par la terrible frayeur de ne plus avoir de contrôle sur ma vie. Je vivais au sein d’une société qui se moquait bien des gens qui ne pouvaient pas être financièrement indépendants. J’ai toujours pensé que ce qui nous est arrivé, à moi et à mon fils lorsqu’il était bébé, était une terrible injustice.

Si seulement j’avais été capable de faire remonter ma colère, j’aurais peut-être pu éviter de devenir une sans-abri. Mais je ne pouvais plus rien ressentir. Tout ce dont j’étais capable, c’était de me noyer dans le désespoir et la léthargie. Je pensais souffrir de déprime, mais je savais que la seule solution que le système offrirait serait des médicaments, et les médicaments ne sont pas à la disposition des gens démunis. C’était la première fois de ma vie que je réalisais que j’étais une personne pauvre, et aussi la première fois que j’ai découvert ce que signifiait réellement la pauvreté. Quand on est pauvre, le monde vous offre moins de possibilités que lorsqu’on a de l’argent. C’est simple : il n’y a pas de possibilités pour les pauvres. Dans notre société, tout coûte de l’argent et lorsqu’on est pauvre, on est obligé de se contenter de regarder les autres plus fortunés profiter de leurs vies. On les observe des coulisses, et à la fin on se résigne, on comprend qu’on ne nous demandera jamais de nous joindre à eux.

J’ai passé l’hiver 1995 dans les rues de Toronto. Il faisait froid et c’était horrible. Avec beaucoup de mal, j’ai réussi à trouver un logement, du travail et une assurance-médicaments. Cette étape avait pris des années. Quand enfin j’ai pu me permettre de me payer les médicaments qui m’auraient permis de retrouver mon garçon, j’ai réalisé que je me débrouillais bien mieux sans les médicaments. Au moins, je pouvais penser clairement et j’avais de l’énergie.

La première chose à faire pour résoudre l’itinérance est la suivante : faire très attention à ce que l’on accepte comme étant la vérité. Sachez que la plupart des choses qu’on vous raconte sur les filets de sécurité sociaux et sur l’aide sociale n’est rien de plus que du bon marketing. Ça n’existe pas. C’est une excellente idée et ce serait extraordinaire si ça marchait, mais en réalité, quand on est pauvre, on doit se battre en solitaire. Même si vous vous réinventez complètement pour répondre aux critères qui vous assureraient l’accès au financement, ce ne serait pas suffisant pour vraiment vous aider. Il vous laissera en suspens dans un monde où on doit travailler jour et nuit. Il n’y a aucune progression et aucune chance d’avancement.

L’hiver que j’ai passé dans la rue était froid et glacial. L’itinérance n’a rien de glorieux et est une expérience qui ne nous apporte rien du tout. J’ai oublié à quel point le vent glacial peut vous mordre le visage et comme il vous affecte quand on n’a pas de refuge. Mais je n’ai pas oublié la froideur glaciale du système et la manière dont les politiques prennent la place de la justice. Je crois fermement que beaucoup d’entre nous qui ont survécu les horreurs de la rue savent exactement quelles ont été leurs erreurs et essaient de les corriger quotidiennement. Je crois aussi que bon nombre d’entre nous ne font qu’attendre la prochaine catastrophe. Ils ont fini par accepter que la punition fait partie de la vie, et ils se sentent diminués, non pas parce qu’ils sont des sans-abri, mais parce qu’ils savent que ça pourrait encore leur arriver, n’importe quand.

Date de publication: 
2007
Nouvel emplacement: 
Toronto, Ontario, Canada